"Je suis préoccupé parce qu’on entend des discours qui ressemblent à ceux d’Hitler en 1934. ‘Nous d’abord. Nous, nous" Le pape François a fustigé le souverainisme, une attitude de "fermeture" qui "mène à la guerre", en pleine crise politique italienne déclenchée par le ministre de l’Intérieur sortant Matteo Salvini (Ligue), dans un entretien publié vendredi 9 août par La Stampa. Le Saint-Père a recommandé de laisser "les portes ouvertes" en vue d’"accueillir" les migrants. Entretien avec Jean-Baptiste Noé, historien, professeur de relations internationales à l’Université catholique de l’Ouest, rédacteur-en-chef de la revue Conflits et auteur de « Le défi migratoire : L’Europe ébranlée » aux éditions Bernard Giovanangeli, Géopolitique du Vatican : La puissance de l’influence aux Presses universitaires de France et François le diplomate à paraître chez Salvator.
Pour Jean-Paul II ou Benoît XVI, la question migratoire était périphérique dans leurs enseignements et leurs interventions. Pour François, elle est le centre de son pontificat. Son premier voyage a eu lieu à Lampedusa, puis il est allé sur l’île grecque de Lesbos en 2016, deux zones de débarquement des migrants. Et à chaque fois qu’il va à l’étranger, il tient à visiter un camp de migrants ou à parler d’eux. Pour deux raisons. D’abord du fait de son histoire personnelle. Le pape lui-même est un fils de migrants. Ses parents italiens ont migré en Argentine. Autant Jean-Paul II a connu le communisme et Benoît XVI le nazisme, autant l’histoire familiale de François est marquée par la migration. Ensuite en raison de la conjoncture. Le début de son pontificat correspond à la grande vague migratoire qui arrive en Europe à l’été 2013. Mais la question migratoire se pose partout dans le monde. La majorité des migrations ont lieu entre pays du Sud comme en Amérique latine ou en Afrique.
Le discours migratoire du pape évoque presque toujours les migrations du Sud vers le Nord mais presque jamais les migrations entre les pays du Sud, qui sont pourtant les plus importantes en nombre. Par exemple, François ne parle jamais des populations d’Afrique centrale qui vont en Côte d’Ivoire ou bien de l’Afrique du Sud où sont victimes de xénophobie des populations venues des pays voisins, ni même des populations africaines qui se rendent au Maghreb. Le pape présente le phénomène migratoire de manière simple et jamais dans sa complexité : des pays qui sont à la fois émetteurs et récepteurs comme les pays du Maghreb et le rôle des mafias qui mettent en place le trafic d’êtres humains. Le pape l’évoque légèrement.
Les pays du Golfe arabo-persique ne reçoivent que très peu de migrants arabes musulmans. Leurs migrants viennent surtout d’Asie et sont chrétiens. Les Émirats Arabes unis reçoivent beaucoup de populations philippines et indiennes. Elles viennent travailler sur les chantiers et vivent dans des conditions difficiles et subalternes par rapport à la population locale. Aux Émirats arabes unis et au Qatar, François a insisté sur la nécessité pour les populations chrétiennes de pratiquer librement leur religion. Son intervention a promu leur bon accueil et une égalité juridique de la pratique du culte chrétien.
Deux phénomènes jouent. D’abord l’idée que l’Europe a pour mission politique et intellectuelle l’accueil et les Droits de l’homme. L’ADN de l’Europe serait donc de recevoir des populations migrantes. L’autre idée présente dans une partie du clergé conçoit l’accueil des migrants comme une sorte de réparation. Les migrations seraient provoquées par les Européens, soit à cause de leurs guerres comme en Libye et en Irak, soit parce qu’ils exploiteraient et empêcheraient le développement des pays africains. Recevoir les populations migrantes compenserait le mal commis par les Européens dans les pays d’origine des migrants. Mais cette vision néglige la position des épiscopats africains. Ceux-ci se plaignent du fait que l’Europe attire leurs cerveaux qui font ensuite défaut pour le développement des pays africains. Il en est de même pour la venue des prêtres africains en Europe. Beaucoup d’évêques africains s’en inquiètent car contrairement aux idées reçues l’Afrique manque de prêtres et de nombreuses zones sont dépourvues de présence sacerdotale. Les départs vers l’Europe sont donc des têtes et des bras en moins en Afrique.
Il y a une faiblesse dans le discours migratoire du pape. François pense le déplacement et non la réception. Certes, l’Église répète que les populations qui arrivent dans les pays d’accueil doivent s’intégrer et respecter les coutumes et les traditions locales. Cependant, elle n’explique jamais comment il faut faire ni jusqu’où va l’intégration. L’intégration, est-ce l’acceptation du culte catholique et quitter l’Islam pour la foi chrétienne ? Est-ce uniquement un respect des lois ou la modification culturelle et religieuse des populations immigrées ? La définition exacte de l’intégration n’est jamais donnée. Si ces populations pratiquent leur foi musulmane et n’adoptent pas les mœurs du pays d’accueil, on aboutit à la création de zones communautaire musulmanes comme à Bruxelles, dans les quartiers de Molenbeek en Belgique ou dans de nombreuses villes moyennes en France. Mais ce n’est pas un phénomène imputable au pape seul parce que les hommes politiques ou même les populations ont aussi leur part de responsabilité. C’est un phénomène global. Le pape pense conformément comme la plupart des hommes politiques ou populations européens sur ce sujet. Son discours ne se distingue pas d’un homme politique français, anglais ou espagnol, ou de populations qui considèrent l’immigration comme une bonne chose. De même pour la déchristianisation : le problème n’est pas attribuable à lui seul. Elle avait commencé bien avant lui, à partir des années 1970, et le phénomène se meut depuis au moins un siècle.
Les chrétiens réticents à l’immigration sont en désaccord avec le pape mais beaucoup de chrétiens sont favorables à son discours. Les catholiques sont des citoyens comme les autres. Donc de la même manière que la société est divisée sur la question migratoire, les catholiques sont partagés là-dessus. Certains sont présents dans des associations qui viennent en aide aux populations immigrantes, les accueillent, leur permettent d’apprendre à lire et à écrire en français, les aident à trouver un travail. D’autres plus réticents vont s’engager dans des mouvements politiques plutôt restrictifs à l’égard de l’immigration. C’est un choix propre à chaque personne et qui ne peut pas être englobé dans la religion catholique.
Non, les associations chrétiennes qui aident les migrants existaient avant lui, même si elles se sentent encouragées par le discours du pape. Cela dit, la question est plus ancienne. Benoît XVI déjà rappelait aux ONG chrétiennes qu’elles devaient rester chrétiennes et donc avaient pour mission première d’évangéliser. Le danger pour les associations chrétiennes consiste à ne garder que l’aspect social et à oublier l’évangélisation. Dans plusieurs discours, notamment le discours du pape François à la Caritas Internationalis, il a rappelé qu’il fallait certes soigner le corps mais aussi l’âme et l’esprit. Toutefois ce genre de discours a peu de portée auprès des associations chrétiennes qui ne se préoccupent souvent que des aspects matériel et social direct.
Le pape dénonce la traite humaine et ceux qui s’enrichissent sur les migrants et encourage les associations à aider des migrants qui risquent de se noyer en mer Méditerranée à cause des passeurs. Mais son discours omet la chaîne intégrale de la migration : des migrants sont entre les mains d’esclavagistes et de mafias nigériennes et italiennes qui se font un business très juteux. Ce qui lui manque est l’appréhension globale du phénomène migratoire et la nécessité d’aller au-delà des émotions pour combattre les mafias qui prospèrent dessus. Leur rôle est toujours périphérique dans les discours de François, alors qu’elles occupent une fonction centrale dans le phénomène migratoire car cela leur rapporte beaucoup d’argent : 7 milliards en 2016 selon un rapport de l’ONU. C’est une nouvelle forme de traite humaine et un commerce pour de nombreux groupes mafieux.
Sa vision tient à son histoire personnelle. L’Argentine est un pays multiculturel qui s’est constitué par l’arrivée de populations européennes du XVIe au XXe siècle. Jorge Mario Bergoglio n’a pas la même culture politique que les Européens qui sont davantage dans des logiques d’États-nations. C’est pourquoi François est assez mal compris d’eux. Mais là aussi le pape souffle le chaud et le froid dans ses discours. Dans certains il promeut l’accueil, dans d’autres il souligne l’importance de l’affirmation des cultures locales. Les discours de François sur la défense de la culture locale, des nations, sont toujours minorés par ses discours sur l’accueil des migrants et l’ouverture des frontières.
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