La vie n’est qu’une affaire de rencontre ; les catholiques le savent bien. Combien de témoignages sont remplis de ces âmes heureuses d’avoir un jour rencontré Jésus et qui le disent ! Les incrédules s’en amusent ou s’en affligent, eux qui aimeraient – et attendent sans doute secrètement – que Dieu se manifeste dans leur vie. Quoi qu’il en soit, notre existence est faite de rencontres – qui surviennent ou ne surviennent pas. Les uns trouveront l’âme sœur, d’autres ne se marieront jamais. La fatalité n’est pas seule en cause. Il faut aussi vouloir son destin. C’est vrai à l’échelle tant individuelle que collective.
Prenons l’exemple de la Communauté de l’Emmanuel, l’un des principes actifs du catholicisme contemporain en France (et ailleurs). On en parle comme si ce mouvement avait toujours existé, alors que son implantation remonte à la fin des années 70. Son rayonnement est le fruit d’une rencontre.
Il y a trois jours, le 22 mars, était rappelé à Dieu Xavier Le Pichon (1937-2025), géophysicien de renom, professeur au Collège de France, pionnier de la tectonique des plaques. Y compris spirituelles. Le Pichon a rapproché les plaques américaine et française. Sur le site de l’Emmanuel, à la page correspondant à l’historique de la communauté, on lit que tout a commencé le 12 février 1972 à Troussures (Oise) : « Un couple Français, Xavier et Brigitte Le Pichon ont découvert aux États-Unis le Renouveau Charismatique catholique. À leur retour en France ils prennent contact avec le Père Henri Caffarel qui les invite à venir les 12 et 13 février dans sa maison de prière de Troussures, afin de parler de leur expérience à une quarantaine de personnes. Parmi elles Pierre Goursat (57 ans) et Martine Laffitte, jeune interne en médecine. Ils demandent, avec d’autres, l’effusion de l’Esprit. (…) » Cette rencontre a craqué une allumette ; le brasier de la nouvelle évangélisation allait s’enflammer : si Pierre Goursat (1914-1991) n’avait pas rencontré Xavier Le Pichon (et quelques autres quand même), la Communauté de l’Emmanuel aurait-elle émergé ? Probablement pas, du moins pas comme ça. D’où l’intérêt de lire la première biographie consacrée à ce personnage très peu connu et ne cherchant pas à l’être ; au fond de l’église, on le prenait même pour un SDF ! Pierre Goursat est mort le 25 mars 1991, le même jour que Mgr Marcel Lefebvre, fondateur de la Fraternité saint Pie X. Deux trajectoires, deux réponses à la très violente crise postconciliaire. Il avait fait sa carrière dans le cinéma. Mgr Francis Kohn, le postulateur de sa cause, déroule le film de sa vie, avec force témoignages. L’ouvrage sort après que le Saint-Siège l’a déclaré vénérable le 18 décembre 2024.
Pierre Goursat ne vient pas de nulle part. Quand il découvre le renouveau charismatique, il est déjà engagé dans l’action sociale. Au pont de Neuilly (Hauts-de-Seine), une péniche acquise en 1971 s’occupe des jeunes frappés par la drogue. Ce fléau venu des États-Unis arrive en France, devient massif. Pierre Goursat fait beaucoup de prévention. En 1976, il fait le voyage en Amérique, prélude au décollage de l’Emmanuel en France. Son expérience ecclésiale va permettre de franciser ce « produit d’importation » qu’est le pentecôtisme américain, lequel avait beaucoup marqué les étudiants français à l’université de Duquesne (Michigan). Sa proximité avec le cardinal belge Léon-Joseph Suenens (1904-1996), l’un des quatre modérateurs de Vatican II, a joué un grand rôle. D’autres communautés nouvelles comme Les Béatitudes (ex-Lion de Juda), Le Puits de Jacob ou Le Chemin neuf, menées par des personnes plus jeunes et moins enracinées, suivront des trajectoires plus chaotiques que celle de l'Emmanuel. Grâce à Pierre Goursat, le catholicisme gallican a su capter, absorber et insérer un phénomène US.
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