100 jours après la réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, tout semble rentrer dans l’ordre : les touristes reviennent en masse, encore plus nombreux qu’avant (2 millions de visiteurs !) et la restauration suit son cours. La belle dame ne cesse de se parer de nouveaux atours. Dernièrement, ce sont 2000 points de lumière que l’on a installés pour faire varier l’ambiance en fonction des offices et des moments liturgiques. On espère ainsi plonger les touristes dans un bain d’intimisme spirituel. Pourquoi pas.
Un autre éclairage nous est fourni sur ce monument, c’est celui de Nathalie Heinich, sociologue au CNRS, qui a coordonné un ouvrage au titre insolite Notre-Dame des Valeurs - retour sur une émotion patrimoniale (Puf). Insolite parce que le mot « valeurs » introduit une forme de relativisme : les valeurs, c’est ce que nous tenons pour vrai à un moment donné, alors que les vertus ou les commandements se rattachent à des impératifs catégoriques. Ainsi Notre-Dame de Paris ne dirait pas la même chose à tout le monde, selon les valeurs qui nous permettent de la juger. C'est un peu comme pour l’art contemporain : c’est à celui qui regarde de trouver le sens de ce qu’il voit...
Une précision s’impose : le mot « valeurs » est polysémique, explique Nathalie Heinich. Il signifie à fois « grandeur », « bien » et « principe ». Le premier fait l’unanimité, le deuxième ne pose pas de problème. Mais le troisième divise. En clair, l’esthétique et le statut de la cathédrale ne sont pas des sujets. En revanche, ce qu’elle exprime en est un. Est-ce un lieu de culte ou de culture ? S’agit-il de la maison du Bon Dieu ou d’un monument comparable à la Tour Eiffel ?
Cette question, à nos yeux, paraît absconse puisque nous savons pour qui et pour quoi ce vaisseau de pierre a surgi au cœur de Paris et que la centralité de l’édifice représente l’âme de la capitale - pour ne pas dire de la France, comme nous invite à le penser une récente expression de Mgr Éric de Moulins-Beaufort.
Nathalie Heinich et son équipe relèvent une chose étonnante, c’est que « l’émotion des prélats au lendemain de la catastrophe provint moins de la destruction de la cathédrale que des qualifications inadéquates qui en sont données ». En fait, traduit en termes sociologiques, le clergé s’est montré moins sensible à la valeur-objet et à la valeur-grandeur qu’à la valeur-principe, alors que les foules affligées par l’incendie pleuraient devant un chef d’œuvre du gothique que les flammes menaçaient d’engloutir. Bien sûr, on n’a pas tout dit quand on a dit ça. Il y a ce que les gens déclarent publiquement et ce qu’ils vivent intimement. On ne me fera pas croire que seul le risque de voir disparaître un joyau médiéval explique l’émotion ressentie au printemps 2019. De manière plus ou moins diffuse, plus ou moins avouée, chacun a vécu la catastrophe de manière métaphorique, comme l’extinction d’une identité chrétienne en France, comme le mal qui triomphe du bien ici-bas, partout et de plus en plus. On ne peut faire l’impasse sur la puissance du message métaphysique.
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