Institution plurimillénaire, l’Église catholique aura survécu aux guerres, aux hérésies, aux famines, aux épidémies et autres révolutions, y compris celles du progrès comme l’imprimerie, le chemin de fer ou l’électricité. Son horizon étant celui du salut après la mort, elle n’est pas tenue de promettre le paradis pour tout de suite, comme s’y sont fort mal employées les religions séculières communiste ou nazie.
L’Église n’aime pas trop que l’homme se pense comme un « tout parfait et solitaire », comme le disait Rousseau. Elle n’aime pas non plus que l’homme photocopie Dieu. Avec l’IA, certains esprits espèrent se dupliquer et se perpétuer, avec toujours ce vieux rêve de tuer la mort, ce scandale qui nous laisse muet quand on perd un proche.
L’intention démiurgique, assumée par les saint Paul de la tech, a quelque chose du mimétisme diabolique. Je veux me créer moi-même. En désossant le cerveau, j’arriverai bien à me plugger quelque part et à me télécharger pour ne pas mourir. L’idée est folle mais c’est quand même le point ultime de cette aventure technologique portée par la Silicon Valley.
Or, l’homme est à l’image de Dieu, lequel prit soin de s’incarner dans la chair. L’IA exprime le mouvement inverse : l’homme se fait Dieu en se désincarnant. Bien sûr, le débat sur l’intelligence artificielle ne se limite pas à ces considérations métaphysiques mais il eût été opportun que l’Église fût invitée au banquet des géants de la tech pour y délivrer son message et relever le niveau.
Aux Bernardins, Emmanuel Macron l’avait incitée à jouer tout son rôle. Ce sommet international, à dominante américaine, lui offrait une belle occasion de prendre de l’altitude et de reconnaître le rôle intellectuel des catholiques sans s’exposer aux mesquineries laïcardes. Hélas, ce fut un rendez-vous manqué. Qu’à cela ne tienne : le 10 février, jour de l’ouverture du sommet, elle organisa le sien intitulé Quand l’IA rencontre les religions, perspectives pour l’Eglise catholique. J’eus le plaisir d’animer les tables rondes, riches, denses, exigeantes. Mgr Denis Jachiet, président du Pôle dialogue de la Conférence des évêques de France, et le père Laurent Stalla-Bourdillon, directeur du Services pour les professionnels de l’information (SPI), avaient mobilisé des personnes reconnues comme Gilles Babinet, coprésident du Conseil national du numérique, et Laurence Devillers, professeur en IA à la Sorbonne. Louis Lourme, recteur des Facultés Loyola Paris, et Arthur Couret, ancien président du Hub France IA, y étaient aussi.
L’enjeu est énorme car, indique le père Stalla-Bourdillon, « les IA génératives sont déjà le premier prescripteur de connaissances religieuses ». Qui l’eût cru ? La conséquence, c’est qu’elles vont, ajoute-t-il, « conditionner toutes les représentations de l’opinion sur les religions », ainsi que « ravir le magistère de la parole ». En clair, il y a urgence à dompter la bête et de lui faire une prise de judo pour la retourner en sa faveur. L’idée est double : l’Église, via le SPI, s’emploie à créer un corpus, une bibliothèque de textes labellisés, afin que les intrications numériques ne transforment pas le dépôt de la foi en caricatures ou en gloubi-boulga. Cette première idée en appelle une seconde : former à la réception critique des connaissances. Car l’IA générative pose deux questions : « quels sont les savoirs diffusés et disponibles ? Et quels efforts d’analyse critique de ces savoirs vont permettre l’élaboration intelligente de ce qui est cru ? » Ces questions de fond se heurtent à une sorte de paradoxe souligné par Laurence Devillers (replay vidéo à 1h29) qui en assez d’entendre dire que l’IA est une forme d’intelligence : « Il n’y a pas de conscience, pas de réflexivité, pas d’émotion, pas de compréhension, pas d’intention », dit-elle. L'IA ne connaît les mots que grâce à ses voisins. La machine mémorise des contextes, fait des associations arithmétiques approximatives, mais ne raisonne pas. « Il faut comprendre comment ça marche avant de vouloir utiliser l’IA », avertit Laurence Devillers. Sinon, il y a un risque que la Bible soit réécrite, que la confusion des sources entraîne celle des esprits. L’IA n'est qu’un langage non humain fabriqué à partir de données humaines. Le risque que le premier trahisse les secondes est gigantesque. Toutes les institutions sont invitées à relever ce défi : y aller, oui mais comment ? Mystère. L’une des pistes est de muscler le corpus catholique en développant une sorte de Wikipédia dont la communauté universelle des fidèles pourrait s'emparer et que l'institution pourrait modérer. Ce corpus estampillé pourrait nourrir l'IA. Ici, évangélisation et transmission reposent sur un maître mot : la fiabilité.
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