Le jeudi 25 janvier, Michel Onfray était l'invité de Louis Daufresne. De nombreuses citations et références historiques ont été données lors de cet entretien. Marie-Noëlle Thabut, bibliste, en a listé certaines et répond à la thèse avancée par Michel Onfray en précisant quelques point :
- Michel Onfray part en guerre (à juste titre, me semble-t-il) contre quantité de lectures abusives des évangiles. Mais cela ne prouve rien, par rapport à l'existence de Jésus.
- Pour le Suaire, qu'il soit une invention médiévale (ou non) ne prouve rien non plus, par rapport à l'existence de Jésus.
- Michel Onfray a raison de s'élever contre des lectures "littérales" de la Bible. Il faut savoir tenir compte des genres littéraires.
Le "bouc-émissaire" : La citation de René Girard n'apporte rien. Parler de "bouc émissaire" à propos de Jésus est tout-à-fait inapproprié. Cela prouve seulement que Michel Onfray, pas plus que René Girard qui n'était pas un excellent lecteur de la Bible, ne connaît la théologie du sacrifice dans l'Ancien Testament.
Le rite du bouc-émissaire est un texte biblique très court ne faisant pas partie de lectures liturgiques, mais il vaut la peine d'en parler car l'expression a connu un grand essor dans le langage courant sans aucun rapport avec le rite lui-même. Dans le livre du Lévitique, il est décrit que chaque année, le jour du Grand Pardon (Yom Kippour), on apporte deux boucs ; Aaron tire au sort : l'un des deux boucs sera offert en sacrifice ; l'autre sera chargé des péchés du peuple et expédié (vivant) au désert ; il nous débarrasse ainsi définitivement de nos péchés de toute l'année. Ce bouc est accompagné par un homme qui revient ensuite et réintègre l'assemblée. On notera que le bouc émissaire demeure vivant, il n'est pas sacrifié.
La prescription : "Aaron impose les deux mains sur la tête du bouc vivant : il confesse sur lui toutes les fautes des fils d'Israël et toutes leurs révoltes, c'est à dire tous leurs péchés, et il les met sur la tête du bouc ; puis il l'envoie au désert sous la conduite d'un homme tout prêt. Le bouc emporte sur lui toutes leurs fautes vers une terre stérile" (Lv 16, 21-22)
Il n'est jamais question de ce rite chez les prophètes ni dans aucun autre texte biblique ! Et, bien sûr, on ne peut faire aucun rapprochement avec la mort du Christ. Dans le Nouveau Testament, il n'est fait aucune allusion à cette coutume ; quand on parle de la Passion et de la mort de Jésus, on médite à partir d'Isaïe 53 (Le Serviteur souffrant) et de Zacharie 12-13 ("Ils lèveront les yeux vers celui qu'ils ont transpercé"). Enfin certains pensent que c'était à l'origine une coutume folklorique.
Sur la mort de Louis XVI : La lecture (sacrificielle) de la mort de Louis XVI par Michel Onfray est hautement discutable, c'est une méconnaissance de la théologie du sacrifice selon la Bible. Mais on est hors sujet.
Précision sur la crucifixion : Le mode d'exécution à la manière juive, c'est la lapidation, le mode d'exécution à la manière romaine, c'est la crucifixion pour les esclaves ou les grands criminels et la décapitation pour ceux qui ont le titre de "citoyens" (Ce sera le cas de Paul). Or le Sanhédrin a le droit de condamner à mort mais pas celui de procéder à l'exécution ; pour cela, il doit demander l'aval des Romains. Pour Etienne, largement inconnu, on n'a pas pris la peine de demander l'aval du tribunal romain, donc Etienne a été condamné par le Sanhédrin et aussitôt exécuté, donc à la manière juive (lapidation). Mais pour Jésus, on a fait avaliser la sentence par les Romains, de peur d'un soulèvement populaire, du coup la sentence devient romaine et l'exécution, la crucifixion.
Les agenouillés - agenouilleurs : Beaucoup de phrases de Michel Onfray, fort bien frappées d'ailleurs, n'apportent rien au fond du débat. On est au niveau du ressenti. "Je n'ai rien contres les agenouillés, mais beaucoup contre les agenouilleurs" dit-il, la Bible elle-même est une instance de contestation de toute emprise, de toute manipulation. Qu'il y ait malheureusement, des "agenouilleurs" est désolant, mais ce n'est pas un argument contre l'existence de Jésus.
Jésus n'a pas existé : la preuve, il ne mange pas, ne boit pas : Ce n'est pas parce qu'on ne décrit pas ses menus, qu'il ne mangerait pas. Jésus parle de "manger la Pâque avec ses disciples" (Lc). Sait-on ce que mangeait Ponce Pilate ? On ne met pas en doute pour autant son existence. Et si on ne décrit pas le corps de Jésus, on nous parle de sa tunique dans l'Evangile selon St Jean.
Que dit Flavius Josèphe (page 1455 dans "la Bible des Familles") : "A cette époque-là, il y eut un homme sage, nommé Jésus, dont la conduite était bonne ; ses vertus furent reconnues. Et beaucoup de Juifs et des gens d'autres nations se firent ses disciples. Pilate le condamna à être crucifié et à mourir. Mais ceux qui s'étaient faits ses disciples prêchèrent sa doctrine. Ils racontèrent qu'il leur apparut trois jours après sa crucifixion et qu'il était vivant. Peut-être était-il le messie au sujet duquel les prophètes avaient dit des prodiges" (antiquités juives)
Que dit Suétone - 120 : "Claude expulsa de Rome les Juifs qui s'agitaient constamment sous l'impulsion de Chrestus." (Vie de Claude). "On livra au supplice les Chrétiens, sorte de gens adonnés à une superstition nouvelle et malfaisante."
De quand datent les psaumes ? : Les psaumes ne datent pas de 2000 ans avant Jésus. Le psaume 22/21 d'où est extraite la phrase "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?" est au plus tôt d'époque perse, après le retour de l'Exil à Babylone.
Jésus a été constitué à partir de l'Ancien Testament ? : Le Nouveau Testament serait un copié/collé de l'Ancien Testament donc ? Non ! L'Ancien Testament a parlé d'un personnage providentiel qui sauverait l'humanité. Personnage individuel ou collectif ? Triomphant ? Persécuté ? Selon les textes, il était l'un ou l'autre. L'attente est très vive et très diverse au moment de la naissance de Jésus. Or, à la déception de tout le monde, il n'a coché aucune case, aucune attente ; et il n'a en apparence sauvé personne, même pas lui-même puisqu'il a été honteusement éliminé. Je suis d'accord avec Louis Daufresne quand il se demande quel intérêt on aurait eu à inventer le personnage de Jésus (qui n'aurait pas existé) à un moment où tout le monde y croyait. Une des meilleurs preuves de son existence, c'est que personne n'aurait pu l'imaginer tel qu'il a été.
La bibliothèque de Qumran serait une bibliothèque gnostique ? C'est trop vite dit. Les archéologues penchent majoritairement pour une communauté essénienne. Mais ce n'est pas le propos et fait inutilement diversion.
Le récit du Déluge recopie les textes antérieurs : Non, il ne les copie pas. Il les connaît, c'est évident, mais s'en démarque considérablement. On trouve dans la Bible, Ancien et Nouveau Testament, quantité de textes visiblement inspirés par les cultures environnantes : bien sûr, Israël ne vit pas sur une île déserte, mais ce n'est pas du copié/collé.
Sur le temple de Jupiter : Michel Onfray a raison de dire que la découverte archéologique d'un temple de Jupiter, ici ou là, ne prouve pas l'existence de Jupiter lui-même.
Sol Invictus : La fête du "Sol Invictus" n'est pas une récupération romaine de la fête de Noël, c'est l'inverse.
Nous construisons Dieu à partir de notre image inversée : C'est la reprise de la phrase de Voltaire "Dieu a créé l'homme et l'homme le lui a bien rendu". Je suis complètement d'accord. Et alors ? Cela prouve seulement que Voltaire n'a pas bien lu la Bible ; car, à bien lire la Bible, elle nous propose une image de Dieu à l'opposé de tous nos désirs. D'autre part, toutes nos lectures déficientes ne suffisent pas à prouver que Dieu n'est qu'une idée ! Il est bien vrai que nous avons parfois la tentation de nous fabriquer un Dieu qui nous arrange…. Et alors ? C'est désolant mais ne prouve rien.
Le Christianisme se serait imposé "par l'épée de Paul": Paul n'avait pas d'épée, celle qui est représentée à Saint-Paul-Hors-Les-Murs est le rappel de sa décapitation. Les martyrs sont généralement représentés avec l'arme de leur supplice : voyez Ste Catherine d'Alexandrie avec sa roue.
Saint Paul et son cheval : Michel Onfray a raison de dire que Paul n'avait pas de cheval. On le savait déjà. Mais là encore, c'est de la diversion, mais ne prouve rien non plus, par rapport à l'existence de Jésus.
Le péché originel : La lecture de Genèse chapitre 2 et 3 est une erreur sur les genres littéraires. Déduire qu'il y a un serpent, identifié au mal, au Paradis est une erreur de lecture au même titre que toutes celles que Michel Onfray combat. Le serpent du paradis est un rappel des serpents venimeux qui ont attaqué le peuple dans le désert du Sinaï. Histoire de dire "le soupçon porté contre Dieu, l'interdiction de cueillir le fruit de la connaissance" est un poison "spirituel" plus grave sur celui d'un serpent venimeux.
Vous pouvez réécouter l'intégralité de l'entretien avec Michel Onfray ici
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