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François, le pape qui a "bousculé" l'Eglise
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François, le pape qui a "bousculé" l'Eglise

Par Louis Daufresne

Depuis qu’il est mort, on entend dire partout que le pape François a « bousculé » l’Église. C’est un peu gênant. Quand je suis dans le métro, je n’aime pas qu’on me bouscule. Si moi-même je le fais, je vais dire « pardon ». Ce verbe est une manière de dire poliment qu’il a déplu à une partie de l’institution et des fidèles. C’est vrai, il faut le reconnaître. Dès l’aube de son pontificat, il refusa de verser une prime aux 4000 employés du Vatican, et engagea un rapport de forces avec la Curie – qu’il accusa de tous les maux, quinze pour être précis, comme la mondanité ou le commérage. Aujourd’hui, l’institution est fatiguée des saillies bergogliennes, même fécondantes, même stimulantes, même prophétiques. Sa dureté ad intra tranchait avec sa tolérance ad dextra, au point qu’on se plut à dire qu’il était le pape des non-catholiques. L’Église est elle-même quand et si elle s’occupe des autres. C’était sa ligne. Peut-on reprocher d’avoir mis du carburant évangélique dans le moteur grippé de l’embourgeoisement, cette maladie suprême de l’âme ?

Ses intuitions étaient à la hauteur de ce que la Bonne nouvelle commande de dire et de faire. Dans un monde hyper fracturé, hyper concurrentiel et saturé de messages, le catho lambda doit sortir de soi, parler aux périphéries existentielles. Tant de gens se demandent à quoi sert l’Église catholique, la regardent comme un reliquat de l’ancien monde. Savent-ils qu’elle répond aux grandes questions que chaque homme, jeté sur terre sans mode d’emploi, se pose au cours de sa vie ? Le pape préféra l’évangile à la doctrine, non pour que l’un renie l’autre mais que la seconde porte le premier. Auprès de combien de personnes aurais-je témoigné de la Bonne nouvelle ? Je frémis à l’idée de devoir faire le décompte une fois arrivé là-haut. Ton cœur a-t-il aimé ? C’est la seule question qui importe, qui ne se paie pas de mots, qui « bouscule » au sens profond du terme. D’où qu’on vienne, qui que l’on soit, le pape François nous a touchés au cœur : suis-je ce sépulcre blanchi qui se satisfait d’être ce qu’il est et se replie sur ces principes rassurants ? Dieu m’en garde. Comme disait Édouard Herriot, « appuyons-nous sur nos certitudes, elles finiront par céder ». Les certitudes ne sont rien si je les tourne vers moi. Le christianisme interdit l’entre-soi, le pour-soi.

Le pape François, tel un chef de guerre dur avec ses troupes, les commanda sur le champ de bataille de l’humanité en péril. Oui, nous sommes tous des migrants, oui nous sommes tous des naufragés. Cette métaphore métaphysique oblige à être porteur d’une espérance dans l’au-delà, à ouvrir les yeux de nos contemporains sur l’horizon de sens que le Christ ouvrit pour nous tous à jamais.

Quand dès 2013 le pape François poussa un cri contre « la mondialisation de l’indifférence », il prit pour cible l’endurcissement des cœurs, l’égoïsme, la soif de domination, le matérialisme, ces maladies de l’âme qui font le malheur des hommes et plongent l’ici-bas dans cette « troisième guerre mondiale en morceaux », hybride et d’intensité variable. L’actualité égrène chaque jour un chapelet morbide d’une cinquantaine de conflits régionaux. L’illusion et le péché est de croire que ceux-ci ne nous concernent pas. La question migratoire, en partie liée au sujet climatique, invite à penser global. Cela ne signifie pas qu’il faille renoncer tant à son identité qu’à sa souveraineté. Cela suppose, avec tous les catholiques du monde, de sortir de son canapé, injonction bergoglienne, pour bâtir des ponts et savoir écouter les pulsations des hommes. L'Eglise peut d'autant mieux le faire que les institutions internationales, à commencer par l'ONU, traversent une crise existentielle totale.

En France, les catholiques les plus pessimistes ne regrettent pas le pape François, c’est peu de le dire. Ils perçurent ses initiatives sociétales comme des capitulations devant les nouveaux commandements de l’inclusivisme. Philippe de Villiers, le jour même de la mort du saint père, déclara tout de go que François était un « pape woke ». Ne fait-il pas dire au pape ce qu’il n’a pas dit ? « Si une personne est gay et cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour la juger ? », s’était-il écrié en 2013. Le « si », exprimant la condition, est le mot le plus important. 

Cet amalgame avec le wokisme provient d’un sentiment d’injustice et d’une blessure dans l’estime de soi. Devenus une périphérie, ces catholiques attendaient d’être fortifiés dans leur combat contre les maladies intérieures du Vieux continent, telles que les a pointées le discours munichois de J. D Vance. Or, aveugle et sourd à l’islamisation de nos contrées, au délitement et au dérèglement général de nos mœurs, le pape ignora ces chrétiens luttant pour la survie. Certes, il fustigea la culture du déchet et qualifia les avorteurs de tueurs à gages mais il fit l'impasse sur la guerre culturelle, civilisationnelle, sécuritaire, sur tous ses enjeux sémantiques, intellectuels et politiques. Il préféra le grand réchauffement au grand remplacement. Les deux s'opposent-ils vraiment ?

En tout cas, regardant ailleurs, il prit acte du grand basculement démographique des âmes, passées au Sud Global, de la nouvelle allocation des ressources qu’impliquait cette évolution. Il culpabilisa les Européens en les soupçonnant de se barricader. Mais l’identité, est-ce seulement pour les tribus d’Amazonie ? Peut-être fut-il mal compris. Car, sur les migrations, le pape, si attentif au soin de l’autre, n’en souligna pas moins l’urgence de combattre ses causes, à commencer par la corruption endémique des pays du sud. Il insista aussi sur la nécessité de respecter l’histoire et les coutumes des pays d’accueil. Mais ce message-là ne passa point dans les media ou pas assez. Le pape François vient de quitter l’Europe sur cette explication inachevée.

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