Comme tout rituel, le conclave obéit à un ordre, à la fois dans le temps et l’espace. Les cardinaux évolueront dans des lieux chargés d’histoire, emblématiques de la cité du Vatican et du prestige de la papauté. Mais ces lieux sont aussi hyper sécurisés pour garantir la confidentialité des scrutins. Ils sont couverts par des appareils de brouillage empêchant l'utilisation de téléphones portables ou autres tablettes.
Une règle immuable règne aussi sur tous ces lieux : dès l’ouverture du conclave, les cardinaux prêtent le serment de garder le secret sous peine d'excommunication. Toute communication avec l'extérieur (smartphone, internet, journaux) est strictement interdite, sauf pour cas exceptionnel. Tous les personnels concernés (chauffeurs, cuisiniers, réceptionnistes, femmes de ménage, infirmiers, médecins, etc.) promettent aussi le silence lors d'une cérémonie solennelle.
Le premier lieu figure parmi les plus modestes et les plus récents mais il est ô combien utile. Il s’agit de la résidence Sainte-Marthe. Construite sous Jean-Paul II juste derrière la basilique Saint-Pierre, ses 126 places ne permettent pas d’accueillir la totalité des cardinaux électeurs (135). Néanmoins, souvenons-nous qu’auparavant, les cardinaux logeaient dans des cellules inconfortables à l'intérieur du palais apostolique. À Sainte-Marthe, outre une chapelle, chaque cardinal dispose d'une chambre, des repas et de la laverie. La plupart des logements sont des suites avec une pièce attenante équipée d'un bureau et d'un téléphone fonctionnant seulement en interne. Pour ne pas faire de jaloux, les chambres sont attribuées par tirage au sort. Celles-ci restent simples : un lit surmonté d'une croix, sans ornements. Chaque matin, les prélats quittent la résidence pour se rendre à pied ou en minibus à la chapelle Sixtine, située à 500 mètres, en longeant l'arrière de la basilique sur une belle rue pavée. La circulation des véhicules et des piétons est interrompue pour leur empêcher tout contact.
La basilique Saint-Pierre est la première étape : c'est sous les ors et les marbres précieux de la plus grande église du monde (2,3 ha) que les cardinaux se réunissent pour célébrer la messe précédant le processus électoral. Les cardinaux électeurs se rendent ensuite en procession à la chapelle Sixtine en chantant le Veni Creator, hymne à l’Esprit saint. C'est aussi à Saint-Pierre que prend fin officiellement le conclave avec la proclamation du nom du nouveau pape depuis la loggia de la basilique, édifiée entre 1506 et 1626 par des architectes tels que Bramante, Michel-Ange et Le Bernin.
En attendant, le « cœur » du conclave, c’est bien la chapelle Sixtine, construite un peu avant la basilique (de 1477 à 1480). Elle est située sur le flanc droit de Saint-Pierre, dans l'enceinte du palais apostolique. Célèbre dans le monde entier pour ses fresques de Michel-Ange, elle est meublée pour accueillir les cardinaux : sur un plancher surélevé recouvert d'une moquette beige clair, douze longues tables recouvertes de tissu rouge-bordeaux sont disposées sur deux rangs. Une autre table est placée près de l'autel pour la présidence du conclave. C'est de ce côté que se trouvent trois urnes dont une au couvercle orné de deux figurines représentant des agneaux, dans laquelle les cardinaux déposeront leur bulletin. Au centre, un lutrin supporte un Évangile ouvert sur lequel les cardinaux prêtent serment avant de voter. À gauche de l'entrée de la chapelle sont installés deux poêles, l'un pour brûler les bulletins de vote, l'autre où un produit chimique sera injecté pour produire de la fumée : noire en cas d'échec, blanche si le pape sera élu.
Quand le souverain pontife aura été désigné, commence pour lui tout un itinéraire. Celui-ci est destiné à lui faire la mesure de la charge qui lui incombe désormais. Nul cardinal, nul religieux, nul prêtre n’a été élevé pour devenir pape, la monarchie élective de l’Église n’étant pas héréditaire. L’homme qui aura été choisi sait qu’il devra garantir l’unité d’un corps à l’échelle du monde, gouverner la curie, diriger une action diplomatique, produire de la ressource intellectuelle pour éclairer la foi des fidèles. Avant de paraître « à la ville et au monde », le cérémonial lui prévoit un temps de solitude ou d’intimité avec Dieu. Au fond de la chapelle Sixtine, une petite porte s'ouvre alors sur une cellule de trois mètres sur trois. C'est la chambre des larmes, dans laquelle chaque nouveau pape, à peine élu, entre en compagnie du seul cardinal camerlingue et du maître des cérémonies liturgiques pour, y éclater en sanglots face à l'ampleur de la tâche qui l'attend. On sait que Jean-Paul Ier, mort 33 jours après son élection, y pleura de tout son corps. C’est dans cette « salle des larmes » que trois soutanes blanches l’attendent, grande, moyenne et petite. Le nouveau pontife doit pouvoir y trouver sa taille.
L’émotion et la préparation cède ensuite la place à une courte prière, personnelle et silencieuse, devant le Saint-Sacrement. Elle se déroule dans la chapelle Pauline, bâtie en 1537 par l'architecte Antonio da Sangallo le Jeune à la demande de Paul III.
Maintenant, il faut y aller et paraître à la loggia de la basilique. Une nouvelle vie commence.
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