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Une sotie pour Satie
Historic collection alamy abaca rnd

Une sotie pour Satie

Par Christophe Mory

Directeur de théâtre, comédien, auteur et metteur en scène, belge de naissance, français depuis septembre 2017, auteur de plus de vingt ouvrages sur la photographie, Patrick Roegiers déconcerte par l’ampleur de son œuvre et cette belgitude heureuse qui développe un humour singulier et pénétrant. Voilà l’auteur. Son sujet, Satie, est traité de façon romanesque. Il ne s’agit pas d’une biographie à proprement parler, il l’eût titrée Erik Satie, mais Satie tout simplement.

Eric Satie (1866 – 1925) est né à Hontfleur, et fut élevé par ses grands-parents. Il déteste la Normandie et son grand témoin Eugène Boudin. Sa grand-mère lui donne ses premières leçons de piano, il déteste et la musique et l’instrument.  « Ombrageux, très susceptible, sans que l’on en sache la raison, Satie se fâchait presqu’avec tout le monde ». Il laisse une cinquantaine d’œuvres dont les fameuses Gymnopédies écrites à l’âge de 22 ans.

En 1890, installé à Paris, il emménage au N°6 de la rue Cortot sur la butte Montmartre, à quelques numéros de Suzanne Valadon, dans une pièce de trois mètres sur trois, sa tanière : « C’est calme, je suis bien ici. Il n’y a pas de place pour deux ». Pas de place non plus pour un piano. Qu’importe, il compose en marchant ou au café. Il ne veut surtout pas qu’on le remarque. Alors, il entre chez un tailleur, essaie un costume sombre de monsieur tout le monde et en achète une douzaine. Ainsi aussi des parapluies, il en achète une dizaine et ne se déplacera jamais sans son parapluie. Cette figure voulait n’être qu’une silhouette parmi les passants. « Satie n’existait pas dans l’existence », souligne Patrick Roegiers.

Il tombe amoureux de Suzanne Valadon, qui ne le serait pas ? Elle peint son portrait. Ils passent une nuit ensemble et le lendemain, il la demande en mariage. Une folie. Elle refuse. Il ne rencontrera plus jamais de femme. En 1893, il écrit Vexations, « une unique phrase musicale qu’il fallait jouer 840 fois sans arrêt, sans fin, sans relâche. (…) C’était la plus courte et la plus longue pièce pour piano de l’histoire. (…) Le concert, si on compte bien, durait dix-huit heures et quarante minutes ». Il sera donné soixante-dix ans plus tard en 1963 à New York par John Cage.  

Satie très tôt prend un pseudonyme : désormais, son prénom Eric s’écrira avec un K final. Il se sent mieux comme ça. Il s’installe à Arcueil, à 3 km de Paris, où il vit dans la solitude et la misère. « Il supportait mal d’être sans le sou, écrit l’auteur. Orfèvre de la pauvreté consentie, virtuose de l’indigence forcée et du dénuement forcené, il avait un profond mépris pour l’argent. « Je ne vois pas pourquoi l’argent n’aurait pas d’odeur, lui qui peut tout avoir » Curieuse vie.  « Il fumait comme un sapeur (les fameux crapulos), il faisait bouillir son eau et n’absorbait que des aliments blancs : des œufs (sans le jaune), du céleri, des asperges, des pois chiche, de l’ail émincé, du lard frit, du sucre, du lait de poule, du boudin, des poireaux, des choux rave, des navets, du fromage râpé, des nouilles, des pommes de terre, des poires, etc.). Patrick Roegiers décrit les longs retours nocturnes de Satie quittant Paris à pied pour Arcueil, se trompant parfois de chemin, sous la pluie et dans l’obscurité. « Satie se plaisait dans son antre privée, huis clôs inaccessible où nul n’avait la permission d’entrer. Sa porte sans clef était toujours fermée ».

Sans famille, avait-il des amis ? Picasso, Picabia, Jean Cocteau… C’est par ce dernier que Satie écrit Parade, un ballet pour Diaghilev dans les décors de Picasso, une première au Chatelet le 18 mai 1917, qui n’est pas sans rappeler la première du Sacre du Printemps de Stravinsky en 1913 au Théâtre des Champs Elysées : huées, sifflets, parfums de révolte, hurlements de spectateurs outrés et sidérés. Tout ce qui réjouit Erik Satie finalement. « Austère et infrivole, Satie était un homme de manies, de rangement, de classements. Sa vie était réglée comme du papier à musique », rappelle Patrick Roegiers.

Pas facile d’écrire la biographie d’un homme qui ne vit de rien, qui fuit le monde, évite le public : pas de faits saillants, de saillant que des traits d’esprit à la Alphonse Allais, l’ami, au point que d’aucuns disent d’Erik Satie qu’il est l’Alphonse Allais de la musique. Alors Patrick Roegiers convoque tout le monde dans des anachronismes souriants : Phil Glass, Milhaud, Cendrars, Barthes, Calder, voire Boulez. Et le livre se concentre sur l’agonie du musicien entouré d’une foule de personnages qu’il a connus, croisés, ou non. Le roman devient cette sorte de fantaisie que Gide affectionnait tant : Une sotie. Quoi de mieux pour Satie !

Christophe Mory

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