Pour sa dernière exposition avant une longue fermeture pour travaux, le Centre Georges Pompidou à Paris, propose le Pari Noir, cinquante ans d’expression artistique à Paris (1950 – 2000). Plus de 150 artistes à découvrir, une « culture issue de l’esclavage et de la colonisation » Le propos ainsi annoncé est-il plus politique qu’artistique ?
L’émancipation d’Africains par la peinture est passionnante et bien des œuvres sont à découvrir et des artistes à connaître comme Gérard Sekoto dont l’autoportrait de 1947 tient lieu d’affiche de l’exposition. Il s’y figure en buste de trois quarts dans de vifs contrastes de couleurs. Son regard interroge mais le visage affirme une personnalité combative.
Le Christ de Christian Lattier (1925 – 1978) montre une technique sculpturale autour d’armatures en fil de fer surmontée de ficelles. La souffrance s’y exprime autant que la générosité montrée à travers les doigts et orteils écartés comme pour accueillir encore. Pour cet artiste ivoirien venu en France pour devenir médecin, la foi reçue chez les pères maristes semble vive, incandescente.
Papa Ibra Tall (1935 – 2015) fascine à travers un Couple dans la nuit (1965). Pour ce Sénégalais déçu par l’enseignement de l’École nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, la tapisserie, la sérigraphie, la mosaïque voire la sculpture monumentale sont des voies plus heureuses que la peinture. Ici, l’œuvre est structurée sur une diagonale ascendante que prolonge le bras gauche de l’homme qui se pencha sur la femme. Il est couvert de pierreries et coiffée d’une couronne solaire. Elle est nue, juste couverte d’un pagne orange. La tendresse exprimée et l’abandon de la femme à la bouche ouverte comme pour soupirer sa joie, nous laisse pantois. Ils ne sont pas seuls : un personnage de dos semble les servir et des figures aussi se cachent comme pour regarder le couple.
Fodé Camara, né à Dakar en 1958 (à ne pas confondre avec le footballeur de l’AS Saint-Etienne) répondant à une commande de l’État pour le bicentenaire de la Révolution de 1789 montre dans Parcours 11 (1988) des silhouettes ou des fragments de corps qui se défont de leurs chaînes pour aller à gauche dans un univers rouge, écarlate, violent, de sang versé. Douleurs de l’émancipation jetée ici comme un cri.
Dès les années 50, les artistes renouvellent l’abstraction avec des assemblages de matériaux récupérés inspirée par le collage et l’improvisation du jazz. Voilà bien une donnée nouvelle dont les rythmes enflamment les caves de Saint Germain des prés. Tandis que Miles Davis et Juliette Gréco s’aiment à l’hôtel la Louisiane, rue de Seine, la fièvre afro-américaine emporte la créativité d’alors.
Et c’est là, que le propos de l’exposition dilue la qualité de chacun.
Pour des questions de bienséances politiques, on ne fait pas de distinction entre un Sénégalais, un Ivoirien, un Togolais, un Gabonais, un Malien, un Camerounais, des peuples qui n’ont rien à voir entre eux et qui sont eux-mêmes divisés en ethnies. La diaspora africaine est plus complexe et plus riche qu’un discours généraliste. L’émancipation de la décolonisation est une puissance (ici artistique) passionnante. Or, elle se mélange ici avec la question de l’esclavage dans les Caraïbes, Ultramarine, américaine.
En plaçant le dispositif scénographique autour de la figure d’Edouard Glissant et du « Tout monde », on place les départements d’outre-mer et égales valeurs en face du continent africain. Et la figure et la posture d’Haïti viennent tirer l’attention comme si elles résumaient toute l’histoire. On parle alors d’un « vocabulaire afro-atlantique influencé par les échanges historiques et culturels entre l’Afrique et les Amériques ». Est-ce si sûr ? A revoir les salles à Beaubourg, à reparcourir l’itinéraire quelque peu dialectique de l’exposition, on retient une dialectique artificielle qui étouffe le jaillissement spectaculaire d’un art d’une réelle intensité.
Le visiteur est privé du sujet passionnant de la diaspora africaine et son expression artistique dans la décolonisation, qui méritait une exposition à part entière.
Circulations artistiques et luttes anticoloniales, 1950 – 2000
Centre Georges Pompidou
Jusqu’au 30 juin 2025
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