Marie-Armelle Beaulieu est rédactrice en chef de Terre Sainte Magazine. Pour Radio Notre Dame, elle a accepté de nous parler des préparatifs aux célébrations de la Semaine Sainte et de la fête de Pâques pour les chrétiens présents en Terre Sainte dans ce contexte de guerre entre Israël et les territoires Palestiniens.
Marie-Armelle Beaulieu:
En cette période comblée de guerre, entre Israël et le Hamas, la communauté chrétienne de Terre Sainte se prépare, plus intensément à vivre cette fête de Pâques. En vivant l'acceptation du Christ, ses humiliations, sa souffrance, sa mort, sa descente aux enfers, vivre de sa résurrection. Cela s'est senti spirituellement dans les paroisses pendant toute la montée vers Pâques où on assume le fait d'être dans cette situation qui est objectivement difficile. On sait que la Foi chrétienne offre une porte de sortie à toute forme de mort. Notre patriarche, le Cardinal Pierbattista Pizzaballa, nous l'a répété hier dans son homélie: "C'est la vie avec le Christ ressuscité. Il s'agit d'en vivre pour nous maintenant."
Durant la Semaine Sainte, les offices, ont tous eu lieu. Toutes les églises de toutes les paroisses, de tous les rites sont pleines. Les gens viennent prier, se confier au Seigneur. Porter aujourd'hui avec lui leur croix et la sienne. La Foi des gens est exceptionnelle.
La communauté chrétienne est dans une optique d'espérance, c'est dans l'ADN de la Foi chrétienne. Aujourd'hui, elle est douloureuse, questionnée, difficile à vivre. Difficile de se mettre dans une situation d'espérance alors que vous avez le sentiment à tous les égards d'être au fond du trou. C'est le sentiment de la communauté chrétienne aujourd'hui.
Marie-Armelle Beaulieu:
L'accompagnement spirituel est le même mais en prenant acte que les gens sont dans la souffrance. On se fait plus proche. Aujourd'hui, toutes les institutions religieuses, les Eglises se démultiplient en acte de charité pour que les institutions chrétiennes fonctionnent au bénéfice des chrétiens. Aujourd'hui, vous avez 75% des chrétiens de Bethléem au chômage, 40% à Jérusalem. D'autres chrétiens le sont aussi, à Nazareth. Pourquoi ? Parce que les chrétiens sont très investis dans l'industrie du pèlerinage. Or les pèlerins ne viennent plus. A cause de la guerre, un certain nombre d'entre eux ont peur ou bien il y a des restrictions faites par leurs Etats. C'est catastrophique pour la communauté chrétienne après deux ans de COVID. Les familles au chômage, ne vont plus payer leur loyer quand elles en ont un auprès d'une institution chrétienne et ne sont plus en mesure de payer la scolarité de leurs enfants. On ne va pas chasser une famille parce que la scolarité n'est pas payée. Les élus se déploient pour trouver de l'argent partout dans le monde, pour venir au secours de cette communauté. Après deux ans de COVID, même les institutions chrétiennes prennent sur leur nécessaire pour venir au secours des chrétiens de Terre Sainte.
Vous avez évoqué la famine, cela concerne Gaza. Milles chrétiens sont présents dans le nord de la bande de Gaza. Ils se répartissent dans deux ensembles paroissiaux (orthodoxes et catholiques). Habituellement, il y a toute une vie autour de la paroisse. Elle a des bâtiments pour accueillir tous les groupes des scouts, des actions catholique. Il faut les nourrir. Ils n'ont plus rien, plus de métier, plus de maison, plus de vêtements, plus rien. Les Eglises se mobilisent pour que malgré la situation les chrétiens de Gaza puissent avoir trois repas par semaine. C'est épouvantable, la situation est objectivement épouvantable. Ils vivent avec trois repas par semaine. On le supporte grâce à l'aide de tous les chrétiens qui se mobilisent.
J'en profite pour vous dire qu'aujourd'hui, nous sommes le Vendredi Saint. Traditionnellement, tous les diocèses du monde sont invités par le Saint Père et l'Eglise catholique à donner pour la Terre Sainte. Faisons exploser les compteurs de cette collecte pour venir en aide à la communauté chrétienne. Le risque aujourd'hui, dans l'incertitude politique dans laquelle nous sommes, c'est l'émigration, quitter la Terre Sainte. On l'appelait jusqu'ici la collecte pour les lieux saints du Saint-Sépulcre. Ce n'est pas le cas. C'est un argent collecté au service de la communauté chrétienne, pour faire fonctionner tous les services que les Eglises proposent pour les chrétiens de Terre Sainte. Pour des raisons géopolitiques, historiques, l'Eglise ici est obligé de se substituer en grande partie aux Etats, que ce soit celui de Palestine qui n'existe pas encore et que par conséquent ne fonctionne pas comme tel, ou, que ce soit à l'intérieur de l'Etat d'Israël où les chrétiens appartenant à une minorité religieuse et ethnique, ne bénéficient pas comme les Israéliens juifs, de tous les avantages que peut offrir l'Etat. L'Eglise fait toujours appel à de l'argent extérieur pour aider la communauté chrétienne à rester. C'est le but du jeu. Ce n'est pas de devenir riche. L'argent doit permettre aux chrétiens de rester en étant serein. Aujourd'hui, indépendamment des éléments financiers, les éléments politiques ébranlent cette sérénité.
Marie-Armelle Beaulieu:
Elle est en cours de réception, le temps qu'elle circule sur les réseaux sociaux dans toutes les langues. L'arabe est la langue ici des chrétiens de Terre Sainte. Ils le ressentent, ils ont cette consolation que le Saint Père depuis le mois d'octobre à de multiples reprises parlé d'eux, à réclamer la paix, la cessation du conflit, des armes. Tout le monde sait que le Pape appelle tous les jours la communauté de Gaza, même quand il a quelque chose dans son emploi du temps. Les chrétiens de Gaza attendent cet appel quotidien. Cela dure quelques minutes: "Comment ça va ?, je pense à vous, je prie pour vous, priez pour moi". C'est intense. Tous les jours le Pape leur dit de tenir bon. C'est important de sentir la proximité du Pape. Nos évêques le disent tous, on a besoin de sentir la proximité des chrétiens du monde, notamment avec le retour des pèlerinages. C'est capital à l'économie de la communauté chrétienne. Elle est minoritaire, c'est 1% de la population totale. Elle se sent seule parce que d'habitude la présence des chrétiens du monde fait que le nombre des chrétiens sur place est plus grande. Là ce n'est pas le cas. Le sentiment devant un conflit qui a tendance à prendre des couleurs religieuses, ce qui n'est pas au départ mais qui voit s'opposer, pour schématiser Juifs et Musulmans. Les chrétiens se sentent exclus à tous les égards. Ce soin qu'a le Pape de lui dire et redire "Vous n'êtes pas seul, on est près de vous", compte énormément. C'est super important et réconfortant pour la communauté locale. C'est bon pour le moral mais soyons clair, cela ne va pas suffire, il faut aider les familles à rester.
Marie-Armelle Beaulieu:
Nous avons en Terre Sainte, treize confessions chrétiennes différentes. Elles ne prient pas dans la même langue, de la même manière, ne s'habillent pas (pour les vêtements liturgiques) pareils. Les gens qui viennent de l'extérieur parlent du scandale de la division des chrétiens. Nos Patriarches ont voulu au contraire réitérer cette semaine l'unité que nous vivons ici dans la diversité. Notre Patriarche dimanche a dit, quand il accompagnait les scouts de toutes les confessions chrétiennes pour une marche aux abords de Jérusalem: "Nous faisons la démonstration qu'il est possible de vivre ensemble, de marcher ensemble alors que nous ne sommes pas pareils." Ce désir est de montrer que dans la diversité, ils assument de ne pas être identiques, ils veulent prier ensemble, encourager leurs fidèles parce que nous vivons de facto une forme d'unité. C'est un message. Si les Eglises sont capables de vivre cette unité dans la diversité alors cette Terre Sainte avec sa diversité de religion: juive, chrétienne, musulmane; sa diversité ethnique entre les Juifs et les Arabes, entre tous les étrangers. Une unité vers laquelle nous avançons déjà. Elle n'est pas théologique. Sur ce point, elle viendra de Rome et non de Jérusalem. Toutes ces dernières années, à chaque fois qu'une communauté chrétienne est secouée par un événement comme l'année dernière où a eu lieu une succession d'actes anti-chrétiens perpétrée par des extrémistes juifs. Les communautés des Eglises ont été communes. Depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, il y a eu deux, trois communiqués communs, en particulier lorsque l'hôpital Al-Chifa de Gaza, qui est administré par les anglicans, a été touché par un missile. Les Eglises se sont présentées ensemble face aux journalistes. Il y a ces dix, quinze dernières années à Jérusalem, un rapprochement constant des Eglises les unes vers les autres. Nous sommes encore plus proches, dans ce moment dramatique. C'est exemplaire, bon et nécessaire.
Dans les familles, on compte des chrétiens de toutes les confessions chrétiennes parce que la communauté ce sont dix milles personnes à Jérusalem. Quand vous désirez rencontrer un conjoint, vous ne cherchez pas forcément à rencontrer un catholique de rite romain pour être comme vous. Vous voulez épouser un chrétien, s'il est syriaque, grec, orthodoxe ou arménien. Amen, Alléluia. Les familles sont extrêmement brassées. Je dirais, que ces dernières années, le peuple de Dieu où les familles sont composées de divers éléments du christianisme local ont dit à leurs évêques: "Ecoutez, nous, ont vit déjà l'unité à l'intérieur des familles. Ce serait bien que vous la viviez entre évêques.". Ils ont suivi.
Aujourd'hui, le moment de bascule pour la communauté chrétienne ce sont les vagues de migrations de cette dernière. Il y en a eu à chaque conflit majeur. En 1948, avec la création de l'Etat d'Israël, la guerre Judéo-arabe. 1967, une nouvelle guerre puis 1973 avec la guerre du Kippour, ainsi de suite...A chaque fois qu'il y a un moment dur dans l'histoire géopolitique de ce pays, on assiste à une migration chrétienne.
Le moment que nous vivons aujourd'hui est probablement le plus dur depuis 1948. Il y a une vraie peur en ce moment. Nous sommes dans l'incertitude totale face à l'avenir. Personne ne sait où on va, ni pour les Palestiniens, ni pour les Israéliens, ni pour les habitants de Gaza. Aucun homme, aucune femme politique se lève avec une vision permettant le rétablissement sur des bases de paix. Aujourd'hui, il n'y a que des discours de haine qui véhicule une instabilité politique. Ceux qui peuvent partir, qui ont de la famille à l'extérieur, qui ont des moyens financiers sont tentés de le faire et parmi eux, au premier chef, les chrétiens.
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