Mère Marie Agnès de l’Immaculée Conception – partie II

Il nous faut de la force d’âme pour suivre la voix de la gratuité. Alors pour s’en convaincre, revenons¹ sur la figure d’Emma de Wollf, qui deviendra Mère Marie Agnès de l’Immaculée Conception, celle que l’on appelait la Mère du Pâquier² Cette jeune valaisanne a qui Dieu a parlé plus fort l’avait mise en garde, après le décès de son père et deux frères et sœurs, contre elle-même et contre le monde, pour l’entraîner plus loin encore que la vie religieuse menée par les Filles de la Charité à laquelle elle a déjà songé. À Bex, tout près de l’abbaye de Saint Maurice en Suisse, un jour de Fête-Dieu, la mère d’Emma reçoit avec ses quatre enfants le curé de Bex et les Carmélites de Fontainebleau qui sont en exil. « Le bon Père dit à brûle-pourpoint : Mademoiselle Emma, il y a une place pour vous au Carmel. Un silence gêné s’installa puis les yeux de Madame de Wolff s’emplissent de larmes « Oh ! mon Père ! Le bon Dieu m’a déjà repris deux de mes enfants, ne m’enlevez pas celle-ci ! Le Père se tait puis change de conversation. Mais Emma tient bon. Dieu se charge du cœur de sa mère. »³

Alors vous vouez, c’est ainsi qu’à l’automne, nous sommes en 1903, le Carmel de Fontainebleau ayant migré en Belgique, Emma de Wolff entra au Carmel à l’âge de 23 ans. La voix de Dieu qui l’appelait à la plus grande gratuité, lui avait préparé une place au Carmel. Qu’est-ce que le Carmel ? C’est cette montagne où le prophète Elie extermina les faux prophètes qui rendaient un culte au faux Dieu Baal, et d’où le vrai Dieu fit ensuite venir une grande pluie sur la terre assoiffée. Les usages du carmel étonnent la petite valaisanne et ses genoux lui font mal ; l’odeur des lampes à pétrole dont elle est chargée de l’entretien lui colle aux mains, aux vêtements ! Elle s’en souviendra toute sa vie. Elle plie sous la lourde bure piquante, elle pâlit, transpire, mais « lentement, sûrement, son corps acceptera la rude étoffe, comme ses yeux montagnards accepteront la Belgique ‘si plate !’, alors que son âme, sans hésitation, a commencé à gravir les escarpements invisibles du Carmel » ⁴. Elle devint prieure du Carmel de Fontainebleau et le ramena à Fontainebleau en 1919, puis elle fut nommée prieure du Carmel de Marienthal, puis de celui de Lully en Suisse, avant de devenir la fondatrice du Carmel du Pâquier.⁵

Le chanoine Michelet raconte, pour comprendre quel était l’état d’esprit dans lequel cette jeune fille avait choisi le Carmel, raconte que pour Emma de Wolff « Ma mission spéciale auprès de notre Seigneur me paraît devoir être celle d’une action de grâce perpétuelle ; donner toujours, donner sans chercher à recevoir, donner sans réserve, donner à tous sans exception, donner joyeusement et avec d’autant plus de joie que le sacrifice se fait plus sentir. Voilà ce que je voudrais être pour Jésus une action de grâce perpétuelle toujours content de tout ce que fait ou envoi le bon Dieu.»⁶ Alors cette bonne Mère du Pâquier est montée au Ciel à la veille de Noël 1967, restant absolument fidèle jusqu’au bout à cette vocation particulière, cette vocation de Carmélite.

Alors chers amis, beaucoup disent que de tels exemples sont peu attrayants pour des jeunes filles modernes. Donner toujours, donner sans chercher à recevoir, donner sans réserve serait un modèle pour des Carmélites mais ne serait pas du tout adapté aux enjeux de notre époque ! Et bien au contraire l’expérience montre que cette jeunesse a assez d’esprit critique et de foi pour se tourner du côté de la radicalité afin de trouver leur place sur cette terre. Pour monter au Ciel, il faut suivre non pas la mode mais des âmes, des âmes à qui la voix de Dieu a parlé plus fort.

¹ Voyez la chronique du 22 janvier 2022

² entrée en 1903 au Carmel de Fontainebleau exilée en Belgique.

³ M. le chanoine Marcel Michelet, chanoine régulier de Saint-Maurice, Une voix m’a parlé plus fort, Friburgi Helv 1973 p.21. Ce livre a été couronné par l’Académie française. L’auteur a reçu le prix Juteau-Duvignau.

⁴ Ibid p.27

⁵ Après une première tentative en 1867 près de Genève, en août 1914, Mme Delaître, une veuve française, soutenue par un groupe de bienfaiteurs de la région parisienne, achète le petit château de Lully (Suisse) dans le but d’y installer la communauté qui le voudrait bien, afin de prier pour l’unité des chrétiens. En 1921, des carmélites venues de Narbonne (France) s’installent dans le petit château de Lully (Suisse). Le 29 septembre 1921, une messe était célébrée dans la chapelle du petit château de Lully, près de Fribourg, inaugurant ainsi l’implantation du Carmel en Suisse. En 1933, suite à une visite apostolique, les sœurs de Narbonne sont renvoyées dans leur monastère d’origine. L’Ordre, d’entente avec l’évêque fait alors appel à Mère Marie Agnès de l’Immaculée Conception. Très vite, elle comprend qu’il faut trouver un autre lieu d’implantation. C’est au-dessus du village du Pâquier qu’elle trouve un pré à vendre. Le monastère y sera construit, la bénédiction par Mgr Besson a lieu le 15 octobre 1936.

⁶ M. le chanoine Marcel Michelet, chanoine régulier de Saint-Maurice, Une voix m’a parlé plus fort, Friburgi Helv 1973 p.30-31. Ce livre a été couronné par l’Académie française. L’auteur a reçu le prix Juteau-Duvignau.