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Le point de vue • 06h03
C’est aujourd’hui que nos villes et villages sortent du plus long hiver de leur histoire. Car qu’est-ce qu’une ville où il n’est plus permis de trouver asile ou de flemmarder à la table d’un café ? Une ville où il est seulement toléré de marcher sur la voie publique, de débarquer ou d’embarquer dans des gares, de prier à distance dans une église, de se recueillir dans un cimetière ? Ce que signifie la réouverture des terrasses des cafés et des restaurants, vous vous en doutez. Au-delà des commodités qu’on s’attend à y trouver, cela signifie que la ville redevient accueillante, qu’il est de nouveau licite de s’assembler au dehors. Six par table, c’est déjà ça !
Parce qu’aussi charmant, aussi majestueux, aussi envoûtant, soit une ville comme Paris, de par son architecture, de par ses sommets, Butte Montmartre, Butte aux Cailles, Montagne Sainte-Geneviève, de par ses jardins, Luxembourg, Tuileries, Buttes-Chaumont, de par ses quais de Seine, bords du canal Saint-Martin, port de l’Arsenal, que valent ses artères rectilignes, ses rues sinueuses, ses passages, sans une population libre d’aller et venir, libre de se poster, libre de s’assembler ? Et quelle population ? « Paris, écrit la romancière Simonetta Greggio, est une ville où il y a les premiers de la classe et les cancres. » Premiers de la classe et cancres ont beaucoup perdu à s’être perdus de vue !
Au Royaume-Uni, les pubs et restaurants ont rouvert à la mi-avril. A la satisfaction d’une journaliste du Time. « Les citadins ont plus qu’un lieu de vie en commun, écrit Megan Agnew, ils partagent une humeur collective (…) En temps normal (hors pandémie), la ville est le lieu de l’imprévisible et du chaos. L’endroit idéal pour se sentir adulte (…) Jamais je n’ai eu davantage besoin de la ville et de ses habitants. Dans l’isolement du confinement le plus étrange a été ce sentiment de ne plus exister dans le regard des autres, de ne pas être vue. Un sentiment d’invisibilité aggravé sans doute par le fait que je ne vis ni en famille ni en couple. »
La ville, c’est parfois la première famille de celles ou ceux qui, par choix ou par force, ne vivent pas en famille. Elle a certes ses aspects sombres. Mais elle est aussi cette grande famille hors les murs. Pourvu qu’on s’y sente accueilli comme on l’est dans un café, familier ou étranger.
« J’ai de la peine à quitter la ville, a dit Joseph Joubert, l’écrivain ami de Chateaubriand, parce qu’il me faut me séparer de mes amis ; et de la peine à quitter la campagne parce qu’alors il me faut me séparer de moi. » Le génie du café, c’est qu’on n’est séparé ni de soi, ni des amis qu’il est encore temps de s’y faire.