Je suis frappé, en effet, par les discussions animées qui ont cours en ce moment sur l’intelligence artificielle et les mutations anthropologiques qui s’annoncent. Est-il vrai que nous sommes à la veille d’une révolution qui ne sera pas seulement technologique, puisqu’elle mettra en cause aussi bien la liberté humaine que l’intégrité de notre nature ? Bien sûr, il faut prendre garde aux idéologies du type transhumaniste qui vont bien au-delà de ce que permet ou promet le développement technique. Mais justement, le danger est là : la fabrication d’une utopie qui favorise une domestication de l’humanité, dès lors que celle-ci se laissera subjuguer par le vertige du transformisme et de la toute-puissance.
Philosophiquement, le problème n’est pas nouveau. Les Grecs l’avaient désigné par un mot : l’hubris, la démesure, la tentation de transgresser les limites sur lesquelles veillent les dieux. Et il n’y a plus d’obstacle à la transgression dès lors qu’on a perdu le sens de ce que nous sommes. Ne parle-t-on pas de libérer l’homme de sa condition corporelle et charnelle ? Il est effarant de considérer comment se trouve ainsi bafouée notre sensibilité profonde, dans l’éclatement de ce que le meilleur de nos arts, de notre littérature, de notre théologie nous a transmis. Voilà qui n’est guère optimiste ! Je ne voudrais pas que mon propos contredise les vœux que je formulais, mais ces vœux s’adressent au meilleur de nous-mêmes, pour que nous soyons supérieurs aux défis qui sont les nôtres.