A-Dieu Benoît XVI
Premier pape élu du XXIe siècle, mélomane, timide, longtemps incompris par certains, ses textes et sa pensée auront marqué profondément l’Eglise catholique. Il est mort ce samedi 31 décembre à 09H34, au Monastère Mater Ecclesiae, au Vatican. Benoît XVI sait, très jeune, qu’il donnera sa vie à Dieu. « Dans ses lettres de Noël adressées à l’Enfant-Jésus,…
Premier pape élu du XXIe siècle, mélomane, timide, longtemps incompris par certains, ses textes et sa pensée auront marqué profondément l’Eglise catholique. Il est mort ce samedi 31 décembre à 09H34, au Monastère Mater Ecclesiae, au Vatican.
Benoît XVI sait, très jeune, qu’il donnera sa vie à Dieu. « Dans ses lettres de Noël adressées à l’Enfant-Jésus, il demandait des vêtements de messe et d’être bon avec ses parents et de mieux aimer Jésus », raconte l’Abbé Eric Iborra, traducteur de nombreux textes du pape Benoît XVI. Né en 1927, dans un petit village de Bavière, c’est en entrant au Gymnasium de Traunstein, et en étudiant le latin, le grec, l’histoire et la littérature que le petit Ratzinger se créé « une attitude mentale qui résistait à la séduction d’une idéologie totalitaire« . Pour autant, il n’échappa pas à l’enrôlement de force dans les jeunesses hitlériennes pendant la Seconde Guerre Mondiale. Envoyé dans dans la lutte antiaérienne avec tous ceux du séminaire de Traunstein dans un premier temps, puis au service du travail obligatoire, il finira par déserter peu avant la capitulation allemande.
Prisonnier pendant six semaines après la guerre, c’est à la libération qu’il intégrera le séminaire. Joseph Ratzinger découvre alors les auteurs français : Paul Claudel, Georges Bernanos, François Mauriac. Il étudie la philosophie et la théologie à Munich où il découvre des penseurs tels que Heidegger, Karl Jaspers, Nietzche ou Bergson mais aussi des docteurs de l’Eglise comme saint Augustin. Il se spécialisera dans l’étude de la Bible et de la liturgie. Ratzinger voit dans le Nouveau Testament « l’âme de toute théologie », une vision qui aura un impact lors du Concile Vatican II et de la réforme de la liturgie. Ordonné prêtre le 29 juin 1951, il obtient son doctorat en théologie deux ans plus tard avec une thèse sur « le peuple et la maison de Dieu dans la doctrine ecclésiale de Saint Augustin« . Influencé par les Pères de l’Église du Moyen-Âge, le père Joseph Ratzinger obtiendra son habilitation à l’enseignement avec une dissertation sur « la théologie de l’histoire chez Saint Bonaventure« . Puis il enseignera à Freising mais aussi à Bonn, Münster, Tübingen et Ratisbonne où il obtient la chair de dogmatique et de l’histoire du dogme à l’université.
Le Concile Vatican II
L’année 1962 est un tournant pour toute l’Église Catholique. L’ouverture au monde moderne et le retour aux racines du christianisme s’enclenchent. La conférence de Gênes marque le début de la collaboration entre le cardinal Frings, archevêque de Cologne et le Père Ratzinger. Ce dernier rédige les interventions du cardinal-archevêque de Cologne au Concile vatican II qui s’ouvre en 1962. Ratzinger est donc à la fois protagoniste, témoin et gardien du Concile. « En cette heure, l’armée du Christ a autre chose à faire que d’entrer dans des disputes académiques », affirme-t-il alors, « le monde n’attend pas de nous d’autres subtilités d’un système, mais il veut entendre la réponse de la foi à l’heure de la non foi ». Dans sa ligne de mire : la liturgie, qui, à ses yeux, est « une question de vie ou de mort » pour l’Eglise. Le futur cardianal va même jusqu’à développer une théologie de la liturgie, où l’art, la notion de temps et d’espace trouvent toute leur place. « C’était un mélomane, il a été sensible à la mélodie de la liturgie ancienne« , rappelle l’abbé Eric Iborra.
Par ses travaux, le père Joseph Ratzinger contribue aussi à l’élaboration de la Constitution dogmatique sur la Révélation divine, Dei Verbum : la révélation de Dieu n’est pas une simple affirmation de Dieu, mais doit être comprise comme une rencontre de Dieu avec l’homme. Professeur à l’université de Münster, il y voit l’occasion de formuler les termes exacts du Ressourcement proposé par les « nouveaux théologiens » dont il fait parti. Pour dépasser la rigidité scholastique de l’Eglise préconciliaire et la trop grande distinction opérée entre d’un côté, l’Ecriture, et de l’autre la Tradition comme sources du dogme, il s’agit de revenir à la grande passion des auteurs patristiques et médiévaux pour l’Ecriture Sainte. La Tradition doit moins être vue comme une « Bible alternative » que comme le creuset sûr de l’interprétation de l’Écriture dans la vie continue de l’Eglise.
Les mises en garde sur les dérives post-conciliaires
Au sortir de Vatican II, le théologien emblématique de la majorité conciliaire qu’est Josef Ratzinger est largement perçu comme un réformiste. Cependant, il en vient assez rapidement à mettre en cause ce qu’il perçois comme de graves dérives dans la réception de ce Concile. Alors que pour Ratzinger et d’autres, l’ouverture au monde moderne promue par le Concile doit s’opérer d’abord au travers d’un retour aux sources bibliques, patristiques et médiévales de la Tradition catholique, il constate l’avènement d’un radicalisme théologique qui, au nom de la modernité, rejette violemment des pans entiers de la doctrine de l’Eglise. Dès 1966 à Bamberg, il remarquait ainsi qu’on avait « confondu la mise à jour avec le ressourcement ». Avec quelques autres grandes figures intellectuelles de l’époque, comme Henri de Lubac, Hans-Urs von Balthasar ou Louis Bouyer, il fondera en 1972 une revue théologique nouvelle, Communio ; il y défendra une autre lecture du Concile, plus proche des textes eux-mêmes qu’à « l’esprit de Vatican II » régulièrement invoqués par des penseurs plus progressistes.
C’est cependant avec sa nomination en 1981 comme Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (CDF), qu’il accède aux plus hautes sphères de la vie de l’Eglise. Vu comme le bras droit de Jean-Paul II, il y prendra pendant un quart de siècle le rôle d’un défenseur des positions romaines, condamnant de nombreux théologiens pour leurs compromissions avec la modernité philosophique et politique.
L’Abbé Iborra rappelle qu’en 1985 il est le premier Cardinal à émettre une opinion dissonante de l’optimisme général sur la situation de l’Eglise au niveau liturgique, en critiquant notamment l’imposition autoritaire de certaines évolutions sans consultation des fidèles. Sa réflexion continue sur la liturgie finira par donner naissance à un livre, l’Esprit de la Liturgie, par au tournant du millénaire. L’ouvrage fera scandale, notamment pour sa défense de la position ad orientem du prêtre dans la messe, où il se tient dans le même sens que les fidèles, face à l’autel et à la croix, au lieu d’être « face au peuple » comme cela se fait dans la plupart des messes modernes.
Ratzinger et Jean-Paul II
Les deux hommes ont une amitié profonde. Benoît XVI disait du pape polonais : « sans lui, mon chemin spirituel et théologique n’aurait pas été imaginable ». Ces deux intellectuels de haut niveau ont tout pour s’entendre, à commencer par une vision commune de l’Eglise. Comme préfet de la CDF, Ratzinger était amené à s’entretenir avec le pape polonais plusieurs fois par semaine au cours de ses 25 ans de mandat. Il se verra ainsi confier des missions d’importance capitale, comme la présidence de la commission chargée de produire le Catéchisme de l’Eglise Catholique de 1992, qui mettra à disposition de l’Eglise un exposé systématique de la foi catholique à la lumière de Vatican II. Une mission moins glorieuse sera celle des difficiles négociations avec les intégristes lefebvristes de la Fraternité saint Pie X, laquelle se soldera par un échec partiel puisqu’une partie importante du mouvement traditionnaliste refusera d’accepter la position de l’Eglise sur Vatican II. La fin de son règne est ainsi marquée par deux textes majeurs, Ecclesia des eucharistia et Redemptionis Sacramentum, qui mettent le sacrifice eucharistique au centre de la vie de l’Eglise et critiquent les abus et manques de respects qui ont pu se répandre dans les années postconciliaires.
Evêque de Rome
En élisant Benoît XVI sur le siège de Pierre, le conclave de 2005 a donc visiblement fait le choix de la continuité ; l’autre possibilité sérieusement envisagée par les cardinaux semble avoir été, déjà, le Cardinal Bergoglio, le futur François. Le choix de son nom de règne est significatif : c’est celui de Benoît, le grand Saint fondateur des moines bénédictins, lesquels pendant des siècles constitueront les grands défenseurs de la culture, de la théologie et de la liturgie occidentale – trois domaines au cœurs de la pensée du nouveau Successeur de Saint Pierre. Assez rapidement, le Pape va se révéler être d’abord un Pontife théologien ; son grand œuvre reste la grille de lecture du Concile qu’il a proposé à l’Eglise Universelle. Dès son premier discours de Noël, il introduisait ainsi une distinction entre l’herméneutique de rupture et l’herméneutique de continuité.
Son pontificat sera aussi celui des polémiques. Si il a toujours été clair quand à son propre positionnement dans la droite ligne de Vatican II, il s’est inscrit dans la continuité de son travail à la CDF dans ses efforts répétés pour réintégrer la Fraternité Saint Pie X dans l’Eglise. Ces négociations, qui porteront quelques fruits épars, resteront largement infructueuses malgré de nombreux gestes d’ouverture. Le plus fameux et le plus remis en cause reste la levée des excommunications des évêques intégristes en 2008, laquelle surviendra au moment même ou l’un d’entre eux venait de se faire remarquer pour des propos négationnistes. Summorum Pontificum, le motu proprio permettant à tout prêtre de célébrer l’ancienne messe, sera aussi brandi comme une preuve de sa compromission avec les traditionalistes.
Ces controverses n’empêcheront pas Benoît XVI de travailler au plein épanouissement de la vie de l’Eglise. On notera, entre autre, son grand intérêt pour les questions sociales, qui préfigure celui de son successeur François. Une des encycliques du pape, Caritas in Veritate, propose ainsi une longue réflexion sur le développement économique et social dans un monde globalisé, mettant en lumière les limites des économie libérales actuelles et soulevant le problème environnemental. Son souci particulier pour ce dernier point, particulièrement illustré dans ses efforts pour faire du Vatican un état totalement éco-responsable, lui ont ainsi valu le surnom de « Pape Vert » dans certains médias. Un autre grand chantier du pontificat est sans doute aussi le dialogue inter-religieux et œcuménique.
Un dossier moins réjouissant que cet œcuménisme porteur de fruits sera celui des abus commis par des membres du clergé. C’est sous le règne du Pontife allemand que s’imposera une politique de « tolérance zéro » à l’égard des criminels et de ceux qui les couvriraient. Poursuivant les efforts du pontificat précédent, il cherchera à établir une totale collaboration avec la police, à mettre en place une politique de renvoi systématique sur la base d’une seule plainte, et à permettre une large indemnisation des victimes.
Pontifex Emeritus
La renonciation du Pape en 2013 en surprendra plus d’un. Invoquant une règle canonique inutilisée depuis 8 siècles, il prendra la décision de laisser la charge pétrinienne à un autre. Le nouveau « pontife émérite » explique en effet que son grand âge « ne lui permet plus d’avoir les forces nécessaires à l’accomplissement de sa mission sacrée. Il déclare ainsi que « dans le monde d’aujourd’hui, sujet à de rapides changements et agité par des questions de grande importance pour la vie de la foi, pour gouverner la barque de saint Pierre et annoncer l’Evangile, la vigueur du corps et de l’esprit est aussi nécessaire, vigueur qui, ces derniers mois, s’est amoindrie en moi d’une telle manière que je dois reconnaître mon incapacité à bien administrer le ministère qui m’a été confié ». Depuis, il s’est consacré à la prière et à l’étude dans le petit monastère Mater Ecclesia, au milieu des jardins du Vatican, assurant son successeur de sa prière continuelle pour l’Eglise. Désormais, c’est au ciel qu’il perpétuera cette intercession en faveur de cette Eglise qu’il aura tant aimé et servi.