Jean-Marc Sauvé : « l’Eglise peut et doit faire tout ce qui est nécessaire pour rétablir ce qui a été abimé et reconstruire ce qui a été brisé »
485 pages et 2000 pages d’annexes : la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase) a remis son rapport ce mardi 6 octobre. Un moment historique pour l’Eglise française. Jean-Marc Sauvé, président de la Commission, et l’ensemble des membres ont souhaité « mettre les victimes au centre et au cœur de leur démarche ». 485 pages et 2000…
485 pages et 2000 pages d’annexes : la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase) a remis son rapport ce mardi 6 octobre. Un moment historique pour l’Eglise française. Jean-Marc Sauvé, président de la Commission, et l’ensemble des membres ont souhaité « mettre les victimes au centre et au cœur de leur démarche ».
485 pages et 2000 pages d’annexes. Durant plus de 40 minutes, le président de la Ciase a pris la parole faisant état d’un rapport accablant et expliquant la démarche de la Commission. « Nous avons écouté les personnes victimes, non pas en tant qu’experts mais comme des êtres humains, acceptant de s’exposer et d’assumer la part d’humanité que nous avons en partage », a souligné Jean-Marc Sauvé. La Commission a avant tout voulu être capable de « se laisser toucher par ce que les victimes ont vécu ». « Ce fut », a-t-il ajouté, « une aventure humaine et intellectuelle sans beaucoup de précédents dans nos vies ».
Des chiffres effrayants
Pas moins de 6071 contacts, 2819 courriers, 243 auditions de personnes victimes, pour une Commission qui « fera date » dans sa démarche qualitative. Les travaux de la Ciase se veulent accablants. 216 mille hommes et femmes ont ainsi été sexuellement agressés par des clercs, religieux ou religieuses en France, avec une marge de plus ou moins 50 mille victimes, ces victimes étant aujourd’hui toujours vivantes. Il est extrêmement difficile « de toucher les victimes et de les inviter à témoigner », a rappelé Jean-Marc Sauvé. Si l’on prend en compte les victimes des laïcs en mission d’Église, salariés ou bénévoles, ce nombre passe à 330 mille. Plus de 34 % des abus dans l’Eglise sont ainsi le fait de laïcs.
« C’est bien plus que préoccupant, c’est accablant, cela appelle des mesures très fortes »
Les violences sur mineurs par des prêtres, religieux ou religieuses représentent 4% du total des violences sexuelles en France et 6% si l’on prend en compte les laïcs. Comparant avec d’autres sphères de la société, Jean-Marc Sauvé a souligné qu’il y avait 100 mille à 200 mille victimes par milieu, 141 mille à l’école publique hors internat scolaire.
« L’Église est, après les cercles familiaux et amicaux, le milieu où la prévalence des agressions est significativement la plus élevée »
L’EPHE (Ecole Pratique des Hautes Etudes)a dénombré entre 2900 et 3200 prêtres abuseurs sur 70 ans, soit 2,5 à 2,8 % des clercs et religieux hommes, un taux qui peut valablement se comparer aux taux étrangers. Jusqu’à présent, a rappelé Jean-Marc Sauvé, un seul pays a entrepris d’estimer le nombre de victimes de violences sexuelles dans l’Église pour les personnes de plus de 40 ans, il s’agit des Pays-Bas. « Si on compare avec la France, le taux de victimes est un peu plus faible en France, mais pas significativement ».
La Commission s’est ensuite penchée sur la caractère des abus. « Les enfants de sexe masculin représentent 80% des victimes, avec forte concentration entre 10 et 13 ans ». Dans le reste de la société, les filles sont victimes à hauteur de 73 % et à plus de 80 % à l’intérieur des familles. Jean-Marc sauvé a expliqué que les garçons étaient davantage victimes d’abus sexuels au sein de l’Eglise, sans doute par « effet d’opportunité ». La part des viols commis par des clercs et religieux représente 32% des agressions sexuelles (contre 38% dans les autres milieux). Ces violences sont beaucoup moins ponctuelles et nettement plus durables au sein de l’Eglise que dans les autres milieux.
Les conséquences de ces abus sexuels sont terribles : 60 % des hommes et des femmes connaissent des perturbations qualifiées de fortes ou très fortes dans leur vie sexuelle, sociale et familiale.
Jean-Marc Sauvé a ensuite fait le point sur les périodes, remontant aux années 50. Il y avait 56% des violences dans les années 50 à 69, elles ont ensuite diminué pour se maintenir depuis 1990. « Cette baisse doit être mise en relation avec la baisse des effectifs des prêtres et des religieux et la baisse de la fréquentation de l’Eglise catholique », a rappelé le président de la Commission.
« Nous sommes sur un plateau, il faut se départir de l’idée que les violences ont été éradiquées et que le problème est derrière nous. Non le problème subsiste »
Quant aux politiques ecclésiales, elles ont été substantiellement différentes depuis 70 ans, rappelle le rapport de la Ciase. L’Eglise a mené pendant un peu plus de 20 ans une politique de prise en charge des êtres défaillants ou à problèmes, « une prise en charge qui visait en réalité à protéger l’institution et à les maintenir dans le sacerdoce », a expliqué Jean-Marc Sauvé.
« Jusqu’au début des années 2000, une indifférence profonde, totale et même cruelle à l’égard des victimes »
Le changement de cap s’est amorcé en 2000 avec le procès de Mgr Pican. « Une politique de prévention mise en place, mais cette politique en réalité tarde à se mettre en œuvre », assène la Ciase.
« Il y a un ethos propre à l’Eglise catholique qui a freiné la mise en place de ces nouvelles orientations en raison des liens de confraternité entre clercs et religieux »
Et Jean-Marc sauvé de souligner qu’en 1998, « l’Education nationale a changé de logiciel sans aucun affect, tout s’est fait automatiquement« . Toute la difficulté demeure dans l’articulation entre « l’ordre du pardon des péchés et l’ordre de la sanction publique », à cet égard, l’attitude de l’Église n’a évolué que significativement en 2015 et 2016 avec l’affaire Preynat, a ajouté Jean-Marc Sauvé.
45 recommandations
« Il y a eu des fautes civiles et pénales », a lancé Jean-Marc Sauvé, il est temps de « reconnaitre la responsabilité de l’Eglise dans ce qui s’est passé depuis les origines ».
« Il y a eu un ensemble de négligences, de défaillances, le silence, une couverture institutionnelle qui ont présenté un caractère systémique »
La conclusion est unanime : « l’Eglise n’a pas su voir, n’a pas su entendre et capter les signaux faibles, prendre les mesures rigoureuses qui s’imposaient… Elle a aussi biaisé par rapport à ses propres enseignements ». « Les mesures souvent justes qui ont été prises, ont été prises en réaction aux événements et ont été inégalement appliquées ».
« Il y a besoin d’une reconnaissance de la responsabilité de l’institution vis-à-vis des personnes victimes, des fidèles et plus largement de la société »
« Il faut réparer le mal qui a été fait », répète Jean-Marc Sauvé, « cela implique a minima la reconnaissance de la qualité de victimes des personnes par un institution indépendant mise en place par l’Église… Cela paraît préférable à un allongement des délais de prescription qui ne peut engendrer que des douleurs supplémentaires aux victimes… Il faut indemniser les préjudices subis en dehors même de tout faute caractérisée… Cette responsabilité de peut pas être forfaitaire, cela ne peut pas être un barème aligné sur les échelles d’infraction ».
« Cette question d’indemnisation est un dû dans l’esprit de la Commission »
Des orientations pour l’avenir
Les préconisations de la Ciase sont sans appel.
Il faut « réformer le droit de l’Eglise ». Pour Jean-Marc Sauvé, elle n’a pas contribué comme elle aurait du au traitement approprié des agressions sexuelles. Le 8 décembre prochain, le droit canonique va reconnaître les agressions sexuelles comme atteinte à la vie et à la dignité des personnes, « mais il parait nécessaire d’introduire les règles du procès équitable », a ajouté Jean-Marc Sauvé. La Commission estime que « la création d’un tribunal interdiocésain est un pas en avant mais doit être complétée ».
« La procédure pénale canonique doit être ouverte aux victimes »
Quant au secret de la confession, « il ne peut pas être opposé à l’obligation de dénoncer les atteintes graves sur des mineurs ou des personnes ». « Il nous faut interroger et réformer la gouvernance de l’Eglise », a redit Jean-Marc Sauvé, « elle a fait obstacle à un traitement pertinent des agressions… Il faut un nouvel équilibre entre le principe vertical hiérarchique et la synodalité… Il faut associer les laïcs, hommes et femmes, aux instances décisionnelles ». Il faut également « mettre en place des dispositifs de contrôles internes pour identifier les risques ». « Il y a des bonnes pratiques qui doivent permettre de progresser, il faut que des entretiens annuels systématiques se déroulent dans l’Eglise et qu’ils laissent des traces écrites ». Jean-Marc Sauvé a redit également qu’il fallait « veiller au discernement vocationnel ».
« Il nous semble indispensable de se pencher sur tout ce qui a pu nourrir ou justifier les abus ou les violences sexuelles » et notamment « la sacralisation excessive de l’autorité du prêtre, l’identification du prêtre au Christ, cela est un problème », a affirmé Jean-Marc Sauvé. Par ailleurs, « une conception taboue de la sexualité est susceptible de créer des points aveugles sur des agissements graves, très graves », a également déclaré le président de la Ciase.
« Il ne peut y avoir d’avenir commun sans un travail de vérité de pardon et de réconciliation »
« Nous avons contribué autant que possible au travail de vérité, c’est à l’Eglise de s’en emparer et de le poursuivre », a conclu Jean-Marc Sauvé, « elle est partie prenante de notre société, il est donc impératif de rétablir une alliance qui a été mise à mal ».
« Un message d’attente, d’espoir, c’est aussi, en ce qui me concerne personnellement un message d’espérance. Notre espérance ne peut pas et ne sera pas détruite, l’Eglise peut et doit faire tout ce qui est nécessaire pour rétablir ce qui a été abimé et reconstruire ce qui a été brisé »