07.09.21 Catégorie(s) : Actualité Histoire

Abdenourr Bidar : « La laïcité ne devrait pas commencer par interdire mais toujours par libérer »

Ils sont philosophe et historien. Ils ont tous les deux étudié la laïcité, instrumentalisé dans le débat public depuis plusieurs années, à travers le prisme de leur domaine d’étude. Abdenourr Bidar et  Jean-Pierre Filiu nous parlent de la laïcité à travers deux continents, l’Europe ou plutôt la France et le Moyen-Orient, soit une autre manière de raconter…

Ils sont philosophe et historien. Ils ont tous les deux étudié la laïcité, instrumentalisé dans le débat public depuis plusieurs années, à travers le prisme de leur domaine d’étude. Abdenourr Bidar et  Jean-Pierre Filiu nous parlent de la laïcité à travers deux continents, l’Europe ou plutôt la France et le Moyen-Orient, soit une autre manière de raconter l’histoire.

C’est une semaine riche en émotions que vivent les victimes et proches de victimes d’attentats aux Etats-Unis comme en France. Alors que New York s’apprête à commémorer les 20 ans du 11 septembre 2001, Paris accueille à partir de demain le procès des attentats du 13 novembre 2015. A cette occasion, Décryptage consacre l’un de ses numéros à la notion de laïcité partagée entre la France et le Moyen-Orient. Notion mise à mal après chaque épisode terroriste. Pour débattre, Laurent Lemire reçoit Abdenourr Bidar, philosophe, normalien, spécialiste des évolutions actuelles de l’islam et des mutations de la vie spirituelle dans le monde contemporain. Auteur d’une « Lettre ouverte au monde musulman » en 2015, il publie cette année « Génie de la France », aux éditions Albin Michel. A ses côtés, Jean-Pierre Filiu, professeur des universités en histoire du Moyen-Orient contemporain, à Sciences Po, auteur de « Le Milieu des mondes, une histoire laïque du Moyen-Orient de 395 à nos jours« , aux éditions du Seuil.

Un monde binaire

D’après Abdenourr Bidar, les événements de New York et de Paris 14 ans plus tard ont contribué à construire à travers l’imaginaire collectif une “image fantasmatique de l’islam et à bâtir une “représentation de deux mondes, deux civilisations, la civilisation occidentale et la civilisation islamique qui seraient par essence antagonistes et incompatibles”. “Et cette représentation s’est insinuée dans un certain nombre d’esprits de la société française qui considèrent que les musulmans sont trop différents pour qu’on puisse faire société avec eux”, ajoute-t-il. 

Cette conception d’un monde binaire composé de régions incompatibles sur le plan idéologique prend sa source dans des projets impériaux occidentaux. Selon Jean-Pierre Filiu, le Moyen-Orient est une construction occidentale qui comporte une dimension impérialiste : “C’est un stratège américain qui en 1902 a expliqué d’ailleurs avec une grande lucidité que  »qui contrôle le Moyen-Orient, contrôle le monde”. Or, durant cette période, “le droit des peuples à l’autodétermination a largement été nié”, analyse-t-il. Ainsi, comment mettre en œuvre la laïcité, qui donne la possibilité à tout un chacun de se sentir libre d’être et de croire, dans un pays multiculturel où les individus issus de diverses religions ont été historiquement déconsidérés ? 

Enseigner le fait religieux à l’école 

Cette question, l’école de la République, chantre de la laïcité, se la pose tous les jours. Face à l’affirmation des idéologies contraires, l’école est prise de court parce “parce qu’elle ne sait pas parler de religion, qu’elle ne sait pas le faire de façon laïque, c’est-à-dire impartiale, et qu’elle s’imagine que parler de religion sera forcément le cheval de Troie des religions pour faire entrer leur discours dans le cerveau des enfants”, indique Jean-Pierre Filiu. “Il est temps d’en finir avec la laïcité d’abstention, d’ignorance”, ajoute celui qui souhaite un retour du fait religieux dans les enseignements laïcs. A la laïcité d’abstention, le professeur d’histoire oppose une nécessaire laïcité de confrontation, “pas au sens de se battre mais au sens de confronter ses idées”. “On peut former des esprits à une culture religieuse, à une spiritualité libre. C’est quelque chose qui est très important au au sens de la liberté de conscience”, conclut-il. 

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