30.05.16 Catégorie(s) : Culture

Jeanne d’Arc, symbole français

Celle qui fut brûlée vive à Rouen le 30 mai 1431 par les Anglais demeure plus que jamais une figure déterminante de la France et de son histoire.   On imagine encore la tête du capitaine de Vaucouleurs, Robert de Baudricourt, lorsqu’il a vu débarquer dans ses quartiers une jeune paysanne de 16 ans, originaire…

Celle qui fut brûlée vive à Rouen le 30 mai 1431 par les Anglais demeure plus que jamais une figure déterminante de la France et de son histoire.

 

On imagine encore la tête du capitaine de Vaucouleurs, Robert de Baudricourt, lorsqu’il a vu débarquer dans ses quartiers une jeune paysanne de 16 ans, originaire de Domrémy, lui annoncer que Ste Catherine, Ste Marguerite et St Michel lui ont ordonné de bouter les Anglais hors de France pour faire sacrer Charles VII à Reims.

Il aura fallu que Jeanne fasse le siège de sa porte, lui prédise une défaite française (« journée des Harengs »), pour qu’il accepte de l’envoyer sous escorte à la cour du « Gentil Dauphin » à Bourges. Ce dernier, subjugué, lui confie des troupes et voici la petite bergère qui s’empare d’Orléans, marche sur Reims, y fait sacrer Charles VII et écrase les terribles archers gallois à la bataille de Patay, tournant décisif de la guerre de Cent ans, à l’aide d’une science militaire et d’un charisme miraculeux.

Capturée par les Bourguignons le 23 mai 1430, elle est vendue aux Anglais le 21 novembre 1430. Durant son procès, du 23 février au 23 mai 1431, elle tint tête à ses juges et à l’effroyable évêque de Beauvais, Pierre Cauchon, avec une répartie et un sang-froid tout aussi exceptionnels. Condamnée pour relapse et hérésie, elle mourut sur le bûcher à Rouen il y a 585 ans.

Le 15 février 1450, lorsque Charles VII entre dans la ville de Rouen tout juste libérée, il publia une ordonnance affirmant que « les ennemis de Jeanne l’ayant fait mourir contre raison et très cruellement », toute la vérité devrait être faite. Avec l’assentiment du pape Calixte III, une enquête fut diligentée et, le 7 juillet 1456, le jugement déclara le premier procès et ses conclusions « nulles, non avenues, sans valeur ni effet ». Réhabilitant ainsi la Pucelle et sa famille. Béatifiée en 1909, elle est canonisée en 1920.

La récupération du symbole

De quoi Jeanne d’Arc est-elle le symbole ? Pourquoi l’Église catholique l’a-t-elle reconnue si tardivement ?

Le cas du « symbole Jeanne d’Arc » est en effet assez épineux et illustre parfaitement les débats et les contradictions qui ont agité la France du XIXème siècle. Maléfique pour Shakespeare, burlesque pour Voltaire, féministe avant l’heure pour les suffragettes, mais surtout incarnation du peuple français pour Jules Michelet, sainte nationale pour l’ancien évêque d’Orléans, Mgr Dupanloup. Ce sont ces deux derniers qui vont nous intéresser.

Jeanne d’Arc, enjeu d’un conflit laïcard

Jules Michelet, chantre de l’historicisme, républicain invétéré, laïc et dont les positions diverses n’ont jamais manqué de l’opposer aux catholiques, s’est emparé du personnage. Son ouvrage « Jeanne d’Arc » en 1841 impose le mythe d’une femme patriote qui a donné sa vie pour la France. Comble pour un historien athée, il lui donne une résonance christique.

L'historien Jules Michelet, chantre de l'historicisme et créateur du mythe d'une Jeanne d'Arc laïque
L’historien Jules Michelet, chantre de l’historicisme et créateur du mythe d’une Jeanne d’Arc laïque

« Souvenons-nous toujours, Français, que la patrie chez nous est née du cœur d’une femme, de sa tendresse et des larmes, du sang qu’elle a donné pour nous » – Jules Michelet.

Pour contrer cette laïcisation de Jeanne d’Arc, Mgr Dupanloup va monter au créneau. Véritable défenseur de l’enseignement catholique à l’époque où l’anticléricalisme se développe avec rapidité, il n’est pas question, pour le bouillant évêque d’Orléans, de laisser celle qu’il considère comme une sainte devenir un symbole des anticléricaux va-t-en-guerre.

Mgr Félix Dupanloup
Mgr Félix Dupanloup, académicien, évêque d’Orléans, député puis sénateur inamovible de la République. Il consacra sa vie à « rendre » la Pucelle d’Orléans à l’Église

Multipliant les interventions, il milita ardemment pour la reconnaissance des mérites religieux de celle qui libéra sa ville d’Orléans. Il lui consacra deux panégyriques (en 1855 et 1869) qui appelaient clairement sa canonisation. Des siècles après sa mort, Jeanne d’Arc devint l’illustration de la guerre idéologique qui opposait les catholiques à la IIIème République franc-maçonne et très anti-cléricale. La lutte idéologique entre Mgr Dupanloup et les anticléricaux monta progressivement en puissance avec l’ascension politique du prélat. Élu à l’Académie française en 1854, il fut aussi  député en 1871 puis sénateur inamovible en 1875. Figure de proue du parti catholique, il fut l’une des personnalités les plus combattues et combattives à l’Assemblée. A tel point que le prélat fut insulté à travers une célèbre chanson paillarde appelée « le père Dupanloup », dont l’air a traversé l’histoire. Chanson fredonnée par tous les « bouffeurs de curé » de la république laïque. Marcel Pagnol raconte d’ailleurs dans « La Gloire de mon Père » que son père, instituteur, anticlérical convaincu, la sifflotait souvent. Toutefois, la papauté prit conscience de l’enjeu puisque  Jeanne d’Arc et Mgr Dupanloup reçurent un renfort de poids en 1894 en la personne de Léon XIII qui déclara que « Jeanne aussi est des nôtres […] On ne laïcise pas les saints ».

Anatole France aura beau la dénoncer comme un « instrument d’un complot clérical »,  en 1920, deux ans après avoir bouté les Allemands hors de France et  quarante-deux ans après la mort de son paladin, Mgr Dupanloup, Jeanne d’Arc est canonisée et rejoint officiellement la liste des saintes de l’Église catholique. En 1922, Pie XI reconnaît officiellement Jeanne d’Arc « seconde patronne de la fille première née de l’Église romaine ».

Jeanne d’Arc et le XXIème siècle

Depuis 1979, le Front national défile en l’honneur de Jeanne d’Arc, tous les 1er mai depuis 1988. S’ils furent les seuls dans le paysage républicain à entretenir le mythe de Jeanne d’Arc à cette époque, on peut affirmer que le XXIème siècle amorce un tournant. La guerre opposant Jean-Marie Le Pen à sa fille entraîne celle-ci à supprimer la tradition du 1er mai. Comme si le reste de la classe politique n’attendait que ça, l’année 2016 révéle de nombreux admirateurs de la sainte. En effet, alors que la ville d’Orléans s’apprête à célébrer ses 587èmes fêtes johanniques, dix jours pendant lesquels la ville célèbre sa libération par Jeanne d’Arc en 1429, on apprend la venue du ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, alors même que celui-ci est soupçonné de briguer la présidentielle de 2017. Le symbole est fort et peu innocent. Selon Bénédicte Baranger, présidente  de l’association Orléans Jeanne d’Arc, organisatrice des fêtes johanniques, l’esprit de Jeanne peut se décliner en trois  aspects : l’engagement, l’action et l’unité (tribune parue dans Le Figaro Vox du 2 mai 2016).

Emmanuel Macron et Jeanne d'Arc à Orléans. AFP PHOTO/GUILLAUME SOUVANT
Emmanuel Macron et Jeanne d’Arc à Orléans.
AFP PHOTO/GUILLAUME SOUVANT

Des valeurs qui ont trouvé écho auprès d’Emmanuel Macron… Et de Laurent Fabius ! Car le président du Conseil constitutionnel se rendait ce lundi à Rouen pour commémorer l’exécution de la sainte. Son discours était articulé autour du thème : « Jeanne d’Arc n’appartient à personne ». Emmanuel Macron et Jean-Marie Le Pen auront sans doute noté le message.



Consciente de la défiance généralisée de l’opinion envers elle, il semblerait qu’une partie de la classe politique se soit soudainement mise en recherche de symboles « d’unité, d’engagement et d’action ». Qu’ils aient croisé sur leur route Ste Jeanne d’Arc, patronne de la fille ainée de l’Église n’est en soit pas étonnant. Plutôt rassurant.

L’épisode de l’anneau de Jeanne d’Arc

Le 13 novembre 2014, Philippe de Villiers était en conférence à Versailles. A la demande d’une association catholique, il était venu parler de son livre sur Jeanne d’Arc. En homme de scène, il raconta la vie de la Pucelle jusqu’à son martyr. « Et là il faut imaginer Jeanne seule face aux flammes répétant plusieurs fois « Jésus… Jésus… Jésus… » Il fallait écouter la voix de Philippe de Villiers s’adoucir, quasiment se briser alors qu’il prononçait sur la scène du théatre Montansier les derniers mots de la Pucelle sur son bûcher. Ce jour-là, il fit comprendre aux spectateurs l’amour qu’il portait à la sainte.

Plus d’un an plus tard, le 3 mars 2016, la presse apprend que le Puy-du-Fou vient d’acquérir en quelques heures, et pour la somme de 378.000 euros, l’anneau de Jeanne d’Arc lors d’une vente aux enchères. Grâce à notamment Jacques Trémolet de Villers, avocat, auteur de « Jeanne d’Arc, Le procès de Rouen, l’anneau revint en France. Mais pas au nom de la république. A celui du Puy-du-Fou. Dans ce parc où l’on célèbre la « France d’avant », la chevalerie et l’histoire. Une ultime nique catholique à la république. Mgr Dupanloup n’en espérait pas temps.

Procession de l'anneau au Puy-du-Fou en présence d'élèves de l'école spéciale militaire de Saint-Cyr- JS Evrard/AFP
Procession de l’anneau au Puy-du-Fou en présence d’élèves de l’école spéciale militaire de Saint-Cyr-
JS Evrard/AFP

 

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